Intervention – Hommage à Léopold Sédar Senghor

Benjamin JULES-ROSETTE, Fondateur du Théâtre noir.

Tout d’abord, je tiens à remercier le cercle Richelieu Senghor et en particulier Maître Jean-Gabriel Senghor de m’avoir fait confiance en m’invitant aujourd’hui à cette table Ronde. Avant de commencer, je tiens, à préciser que je n’ai pas l’habitude des conférences, et que je ne suis qu’un simple comédien et metteur en scène. Mais, c’est la grande admiration que j’ai pour Léopold Sédar Senghor qui m’a donné envie de venir ici pour célébrer le centième anniversaire de sa naissance, et de faire cette gymnastique du discours qui ne m’est pas commune.

Par ailleurs, il m’est difficile de penser au président-poète sans penser à Aimé Césaire. Car c’est cette alliance entre Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor qui a donné naissance à l’homme de théâtre que je suis devenu. Leur profonde amitié et leur grande complicité se lisent encore aujourd’hui dans les yeux d’Aimé Césaire que j’ai l’occasion de retrouver de temps en temps.

J’ai également eu la grande chance de rencontrer le Président poète L. S. Senghor qui me reçut un jour dans son appartement parisien avec une immense simplicité.
Il m’invita à m’asseoir et nous causâmes sereinement, comme si nous nous connaissions depuis longtemps.
Il m’écouta lui exposer les objectifs du Théâtre Noir, mon désir de donner corps à cette philosophie de la Négritude en portant à la scène les textes trop méconnus des grands auteurs noirs.
Il m’écouta longuement sans jamais m’interrompe puis, lui-même, m’expliqua l’importance de cette action, légitimant mon combat en lui donnant tout son sens. A la fin de l’entrevue, il me raccompagna à la porte et me dit ces mots : « A chaque difficulté qui se présentera devant vous, recommandez-vous de moi ».

Donc, mon intervention porte sur l’influence qu’a pu avoir Senghor sur la diaspora noire. Je crains malheureusement qu’il n’ait pas eu sur nous autres Antillais, par exemple, l’impact que son œuvre mérite alors que Senghor a prôné dans toute son œuvre les rencontres des cultures et le métissage qui sont les principales caractéristiques des peuples carabéens, de l’Océan Indien et du Pacifique. Mais il faut dire que moi-même lorsque j’étais enfant et même un peu plus âgé, alors que je vivais en Martinique, je ne connaissais pas Césaire et encore moins Senghor. Moi qui était un très proche voisin d’Aimé Césaire, puisque nous habitions pour ainsi dire l’un en face de l’autre, jamais je n’avais attaché de l’importance à Aimé Césaire qui était déjà à l’époque un illustre poète et un grand homme politique. Ce n’est qu’en arrivant en France, et un peu tardivement, que j’ai commencé à me familiariser avec la poésie des deux hommes. L’un de la Caraïbe, l’autre de l’Afrique. Et c’est de cette façon, après les avoir découverts, que je me suis rendu compte de l’aliénation dans laquelle j’avais vécu, de cette aliénation dont je suis encore l’objet. En fait c’est en allant tourner un feuilleton sur la Mer Rouge au large de Djibouti que je prends conscience de mon mal-être antillais, après avoir subi un viol psychologique venant du caméraman. Il m’avait fait comprendre tout simplement que j’étais un petit bourgeois de nègre, et que la seule chose qui comptait pour moi c’était de jouer dans la cour des blancs, de devenir une vedette, sans me soucier de ce que nous autres noirs avions subi pendant quatre siècles. J’ai pris un tel coup qu’après le tournage, je suis allé me réfugier dans une église. Et là, en pensant à nouveau ce que m’avait dit cet homme, mes lèvres s’étaient mises à saigner soudainement.

A la fin du tournage, en rentrant à Paris, je décide de créer le Théâtre Noir, afin que la parole des auteurs comme Senghor et Césaire soit enfin mise en lumière, pour que les africains, la diaspora noires francophones, mais aussi le reste du monde, apprennent à connaître les valeurs du monde noir, telles que les ont fondées Césaire-Senghor-Damas à travers le mouvement de la Négritude.

En ce qui concerne, ce que j’évoquais au début c’est-à-dire les rencontres de culture, alors qu’au départ on peut dire que Senghor était dans une sorte de négritude de l’affrontement, il adopte un peu plus tard, celle de la conciliation comme l’illustrent certains poèmes de « Hosties noires » recueil publié en 1948. Et c’est dans les années 50 que la civilisation de l’Universel marque une dernière étape dans la théorie de Senghor. C’est la quête d’un nouvel humanisme qui devient un poids important dans la négritude senghorienne.

Je me dis que si dans les années 50/60 au moment où Senghor s’inscrivait complètement dans cette civilisation de l’Universel, je me dis que c’est peut-être parce qu’on était dans une période de décolonisation qui entraîne fatalement des conflits et des confrontations entre les uns et les autres, que Senghor n’a pas eu cette influence qu’il mérite sur nous autres Antillais. Césaire ayant une poésie plus radicale, (je parle de poésie, car Senghor savait être radical dans ses discours et ses débats) Césaire ayant donc une poésie plus radicale c’est surtout lui qui était perçu comme le représentant du Monde Noir. Mais si Senghor n’a pas eu plus d’impact hors d’Afrique, c’est parce que nous avions tendance à tourner le dos à l’Afrique. A refuser nos racines africaines.
Il n’en est pas moins que Senghor est incontestablement le poète d’aujourd’hui. Il est le poète du 3ème Millénaire, parce que nous sommes dans cette nécessité de se rapprocher les uns des autres tout en respectant les spécificités culturelles des uns et des autres. Car il est important de préciser que Senghor ne voulait pas édifier une banale civilisation planétaire, mais véritablement une civilisation de l’Universel. Et à travers cela, c’est un peu contre la mondialisation et la standardisation des cultures que le président poète lutte en son temps.

« Car nous sommes là tous réunis, divers de teint – il y a en a qui sont couleur de café grillé, d’autres bananes d’or, et d’autres terre des rizières,
Divers de traits de costumes de coutume de langue ; mais au fond des yeux la même mélopée de souffrance, à l’ombre des longs cils fiévreux ».

C’est en cela qu’on peut dire que Senghor est un grand précurseur, et je pense qu’il est fondamental pour nous aujourd’hui de lire et de relire sa poésie et ses discours, de les mettre davantage en lumière, une lumière qui viendrait de nos frères de la diaspora, car ce sont eux qui déjà issus de cette multiculturalité doivent porter cette parole.

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