M. Jacques LEGENDRE / La francophonie est-elle soluble dans la diplomatie ?

Monsieur Jacques LEGENDRE, Sénateur du Nord, Secrétaire général de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie.

Résumé de l’intervention

Les efforts faits pour ridiculiser la loi Toubon montrent que les français ont un problème avec leur langue et avec la francophonie ; il y a actuellement un blues des francophones sur lequel il convient de s’interroger. J’ai intitulé mon exposé « la francophonie est-elle soluble dans la diplomatie », car je voudrais réfléchir avec vous à deux questions qui me préoccupent: la diplomatie prend une place croissante dans les débats sur la francophonie. La francophonie ne risque-elle pas de se dissoudre si elle se transforme en pure activité diplomatique ? N’est elle pas tout à fait autre chose que la diplomatie ?

Il existe une francophonie avec un « f » et une Francophonie avec un « F ». La francophonie, qui est le fait de s’exprimer en français, est en train de devenir, avec la Francophonie, un acteur du jeu diplomatique. C’est une excellente chose mais cela peut aussi représenter un danger si on assimile les deux notions. L’objectif de la francophonie, c’est que le français reste une langue de communication internationale, c’est d’éviter tout risque de provincialisation du français. Boutros Boutros-Ghali, le premier secrétaire général de la francophonie était un diplomate. C’est lui qui a fait vivre le concept de Francophonie avec la charte d’Hanoï qui la régit toujours. Actuellement, quand on pense à la francophonie, on pense d’abord aux Sommets, aux institutions ; l’affaire récente de la maison de la Francophonie a donné une mauvaise image de l’institution, qui n’y est pourtant pour rien, celle d’une institution qui coûte cher.

Qui sont les personnes concernées par la Francophonie ? Qui s’y intéresse ? Ce sont les diplomates. Est-ce bien là la francophonie que nous avons voulue et aimée ? L’objectif de la francophonie c’est que la langue française soit une langue de communication internationale et cela ne se passe pas bien en ce domaine. Le problème, ce n’est pas les anglicismes, comme on a voulu le faire croire lors du vote de la loi Toubon, le problème c’est que certaines activités ne s’effectuent plus en français. Si la langue française n’est plus la langue des sciences, de l’économie, de la modernité, peut-elle conserver son rayonnement ? Une partie de l’Afrique a choisi le français pour exprimer la modernité, si la France a la tentation d’utiliser l’anglais dans certains domaines, l’Afrique en fera autant ; elle se pose dès maintenant la question car il lui faut désormais deux langues à côté de la langue nationale, le français et l’anglais, pour accéder à la modernité.

Peut-on éviter ce glissement ? Certains peuples qui ont souhaité résister, comme les Québécois face à l’anglais ou les Flamands face au français, montrent que c’est possible. Nous n’arrivons pas à définir une politique cohérente pour que le français garantisse l’accès à la modernité dans le langage du 21ème siècle. Les gouvernements français successifs mettent beaucoup d’argent, même s’il n’y en a jamais assez, mais il n’y a pas de cohérence dans une action qui appelle une stratégie concertée et affirmée.

La Francophonie s’exprime au travers des Etats. Ces Etats doivent-ils être des Etats francophones ? Certains pensent que l’adhésion de ces Etats à la Francophonie les aidera dans leurs objectifs et leur stratégie. On risque de les vexer si on refuse leur adhésion, mais, lorsqu’ on les accepte, on observe très vite qu’ils n’ont rien de francophone et notamment pas de représentants francophones à envoyer dans les réunions (ce fut le cas au Sommet de Bucarest !). Le ministère des affaires étrangères est divisé à ce sujet. Certain ne croient pas à la Francophonie, d’autres se vantent d’avoir fait entrer un nouvel Etat en son sein. Qu’est ce que ces nouvelles adhésions apportent à la francophonie ? La Francophonie apparait comme un fourre tout, les journalistes se montrent goguenards ; cela décrédibilise l’OIF et la francophonie qui deviennent une pure affaire de diplomates. Le combat pour la démocratie et les droits de l’homme, souvent au centre de ces adhésions, est essentiel mais ce n’est pas la spécificité de la francophonie ; d’autres organisations, dans lesquelles la France est très active, s’en occupent. Le domaine de la francophonie, son cœur de métier, c’est la langue française, langue de communication internationale.

Au 21ème siècle il faut traiter le problème autrement : il y a partout dans le monde des gens qui veulent du français, il faut les mettre en réseau. L’association des professeurs de français est un bon exemple de ces réseaux. La francophonie, c’est donner, dans le monde, la possibilité de s’exprimer en français. Un pays francophone, c’est un pays où le français est accessible, disponible. Il convient de faire en sorte que ceux qui veulent parler français aient la possibilité de l’apprendre, de regarder la télévision en français, d’écouter la radio en français. Nous avons besoin de TV5, d’une télévision mondiale en français, il faudrait que les pays autres que la France la financent davantage. Il convient de réfléchir à ce que peuvent faire les pays qui ont souhaité faire partie de la Francophonie en évitant de couper le monde entre ceux qui sont à l’intérieur et ceux qui sont à l’extérieur. Nous avons hérité de l’histoire la possibilité de dialoguer avec beaucoup de cultures, nous devons rendre cet héritage vivant. Dans ce sens, l’élargissement de la francophonie peut devenir mondial, tous les Etats devraient pouvoir envoyer des observateurs à l’OIF ; notre action est, et doit rester, mondiale. Mais cela n’est pas seulement l’affaire des diplomates : à côté de l’action des Etats, il doit y avoir l’action des peuples ; plus la francophonie sera populaire, plus elle pourra s’imposer. Les ONG ont un rôle important à jouer, la coopération décentralisée également : elles peuvent avoir des volets linguistiques ; les « Francofffonies » de 2006 ont montré toute la richesse de tels échanges. Il faut développer ce qui peut populariser la francophonie, faire en sorte que les jeunes se sentent concernés. Loin d’être un combat ringard, la francophonie comprise en ce sens est au coeur des problèmes du 21ème siècle : c’est le dialogue des cultures, c’est l’objectif même de la convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle.

On ne peut pas à la fois militer pour le dialogue des cultures et penser que l’anglais est la koïné inéluctable du 21ème siècle, prôner la diversité et faire des économies sur les coûts de traduction : la traduction est au coeur d’une société qui respecte les langues et les cultures.

La francophonie doit être l’affaire des peuples et non celle des diplomates.

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