Mme Sarah DORAGHI / Parler la langue de la Liberté

Alban Bogeat et Sarah Doraghi

Communiqué du Cercle :

Le Cercle Richelieu Senghor de Paris a reçu le mardi 8 novembre 2022 Madame Sarah Doraghi, journaliste, auteure, comédienne franco-iranienne.

Le mot d’accueil a été prononcé par Madame Catherine Morin-Desailly, Sénatrice de la Seine maritime, ancienne Présidente de la Commission de la Culture, de l’Éducation et de la Communication du Sénat, qui parraine le Cercle depuis 2018. Elle a félicité le Cercle et son président pour leur action et évoqué son propre engagement pour la francophonie.

En introduction, le président Alban Bogeat a rappelé la vocation du Cercle et son actualité, très fournie en octobre. En outre, il a signalé les progrès de la Francophonie économique, avec la tenue à Abidjan fin octobre de la 2ème Rencontre des entrepreneurs francophones réunissant les délégations patronales de 28 pays et dotée désormais d’une structure permanente, l’Alliance des patronats francophones.

La parole a ensuite été donnée à Madame Sarah Doraghi. Envoyée en France par ses parents avant-même l’âge de 10 ans, avec ses deux sœurs et sa grand-mère pour fuir la guerre Iran-Irak et la révolution islamique, elle découvre une langue si différente, dans son écriture, dans ses sonorités…

Grâce à l’école et à la patience de ses professeurs, mais surtout avec la volonté farouche de devenir première de classe, elle a fait sienne notre langue et entretient avec elle un rapport affectif, à tel point qu’elle symbolise aujourd’hui pour elle la liberté…

Sarah Doraghi a su captiver l’auditoire par son énergie et son humour. Au cours d’un riche échange avec la salle, elle a pu exposer sa vision de la situation en Iran, à l’heure où les jeunes iraniennes ont initié un combat pour la liberté. Avant de se quitter M. Ivan Kabacoff, journaliste à TV5Monde, présentateur de l’émission Destination Francophonie et membre du comité du Prix Richelieu Senghor, a révélé le nom de la lauréate 2022 qui sera honorée lors du prochain dîner-débat.


Sarah Doraghi
Sarah Doraghi

Sarah Doraghi : La langue française, langue de la liberté. 

« Apprendre la langue française sans rien en connaître ne fut pas une mince affaire. Rien ne ressemblait à rien. Ni à l’œil, ni à l’oreille. A 9 ans ¾, Je commençais à peine à saisir le fonctionnement de l’écriture persane et voilà que, quelques heures d’avion plus tard et sans vraiment comprendre le pourquoi du comment, je devais apprendre une nouvelle langue, la langue de la France, la langue de mon pays d’accueil, une langue presque contraire à la mienne. La mienne s’écrit de droite à gauche, la mienne a plus de caractères mais manque de u, de r , et de oh la la mais en revanche, elle déborde généreusement de poésie.

Je ne reconnaissais plus rien, ni les lettres et ni leur sens, ni leurs prononciations et ni même les mouvements du corps accompagnant les appuis sur les lettres, les sons, les syllabes, les sourcils qui montent, les gestes de la main, les haussements d’épaules…

La langue française était une langue étrange pour l’étrangère que j’étais.

Heureusement, il y avait l’école et les professeurs souvent patients, souvent bienveillants, compréhensifs la plupart du temps.

Il ne fallait pas que cela traîne. Il était inenvisageable d’apprendre avec Martine va à la plage, Martine va à l’école, pendant que les autres élèves découvraient Molière, Racine et Corneille. Scapin, Sganarelle, Don Rodrigue, Phèdre, Hippolyte. Je n’y comprenais rien mais je lisais, je demandais, je relisais, je devais vivre avec ces amis francophones jusqu’à ce que je capte un mot ci un mot là. Oui capter un mollah est un jeu de mot que je trouve particulièrement intéressant en ce moment.

Apprendre par l’erreur ou l’encouragement.

Apprendre par l’écrit et par l’oral. Il fallait que ça rentre dans ma petite tête :

Lecture de gauche à droite, lettres de A à Z, mimer les Français. Imiter leur accent, travailler dur et c’est parti, partie à la conquête de la bonne diction et de la prononciation correcte, partie à la découverte d’un nouveau pays d’une nouvelle culture, avec ses livres, sa géographie et son Histoire,

L’exercice était d’abord technique, presque mathématique : il fallait que j’apprenne à déchiffrer un mot avant d’en comprendre le sens.

Garder le petit Robert sur la table de chevet et lire 3 pages chaque nuit avant de dormir.

C’est ainsi que petit à petit , je réussis à passer d’un assemblage de lettres à un mot, d’une suite de mots à une phrase. Et d’une pile de phrases à la lecture d’un livre entier.

Grimper le mont Everest en somme et soudain la lumière, se sentir tout là-haut et tomber sur Gary, Saint Exupéry, Balzac, Zola, Musset, Hugo, Rostand.

Contempler la hauteur de ces auteurs aux côtés de qui j’allais parfaire mon français.

«  Je jette avec grâce mon feutre, je fais lentement l’abandon. Du grand manteau qui me calfeutre, Et je tire mon espadon, Élégant comme Céladon, Agile comme Scaramouche, Je vous préviens cher Myrmidon, Qu’à la fin de l’envoi, je touche. »

J’ouvrais un compte dans une banque de mots et je savais que je ne me satisferais pas de l’épargne, je voulais dépenser, parler, écrire, et surtout investir dans les valeurs. J’en ai trouvé trois, magnifiques, les plus onéreuses, les plus coûteuses mais je le savais, ce serait mon plus bel investissement français : Allez je les partage avec vous : Liberté, Égalité, Fraternité. Car la langue française est bien plus qu’une langue, elle est une échelle qui mène vers le sens, vers la verbalisation des sentiments, des émotions, elle permet d’atteindre au millimètre près, notre pensée. Et j’aime à penser que mes pensées trouvent leurs racines en Iran mais ce sont ses branches françaises qui en délivrent le fruit.

C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup, France Gall si tu m’entends, je suis d’accord. Cet hexagone a ce tout petit supplément d’âme, cet indéfinissable charme.

Ses rues comme ses mots sont des écrins à liberté , A m’asseoir sur un banc 5 minutes avec toi et regarder les gens tant qu’y en a , rien que ça, Renaud, si tu m’entends, rien que ça, est une définition de la liberté pour laquelle les gens risquent la mort chaque jour pour en avoir juste un tout petit peu.

J’ai donc cru bon d’apprendre d’abord la France avant d’apprendre le français.

Le français était aussi cette langue de transmission, de dialogue, qui me permettrait de dire, de rire, d’aimer, de me disputer, de crier de débattre, de défendre mes idées.

C’était aussi devenir créditrice de tous les trésors de la langue française. Crédit que je pourrais transférer sur mon autre compte, mon conte persan.

Celui que je vais voir de temps en temps et duquel je retire un poème ou quelques vers… Quand le moment l’exige. Et je trouve que le moment l’exige alors je vais partager avec vous un de ces trésors, il est gravé à l’entrée des Nations Unies, nous la devons au poète Saadi et ça dit :

«  Les descendants d’Adam sont membres d’un seul corps car ils furent créés d’une seule et même essence.

Que le destin d’un jour fasse souffrir un membre et les autres en seront affligés. Si tu ne souffres pas de la souffrance des autres, tu ne mérites pas d’être appelé humain »

A mes autres compatriotes, aux Iraniens qui résistent à la barbarie et à l’inhumanité avec pour seule arme leur courage, je voudrais leur dire ces mots de Victor Hugo  :

Soyez comme l’oiseau posé pour un instant sur des rameaux trop frêles qui sent plier la branche, et qui chante pourtant, sachant qu’il a des ailes.

Je vous remercie. »


Livre d’Or du mardi 8 décembre 2022

Introduction d’Alban Bogeat :

« Madame la Sénatrice, chère Madame Morin-Desailly,

Chers Membres du Cercle Richelieu Senghor,

Chers Amis du Cercle,

Je suis ravi de vous retrouver ce soir.

Je tiens à remercier tout particulièrement Mme Sarah DORAGHI journaliste, auteure et comédienne franco-iranienne qui a bien voulu accepter notre invitation et a choisi d’intervenir sur le thème « Parler la langue de la Liberté ». 

Je voudrais maintenant, en ouverture, donner la parole à Mme la sénatrice Catherine Morin Desailly qui nous accueille ce soir. Mme Morin Desailly, ancienne présidente de la commission de la Culture, de l’Education et de la Communication du Sénat parraine fidèlement le Cercle Richelieu Senghor depuis 5 ans ce qui nous permet de continuer à nous réunir dans ce lieu emblématique qu’est le Sénat, auquel je suis très attaché pour le Cercle.

Sénatrice Catherine Morin-Desailly
Sénatrice Catherine Morin-Desailly

***

Merci, chère Madame, pour vos mots d’accueil chaleureux, et pour votre fidèle soutien au Cercle.

Pour commencer, pour celles et ceux qui nous rejoignent aujourd’hui, je voudrais comme chaque fois présenter brièvement le Cercle Richelieu Senghor :

Le Cercle est un lieu d’échange et de réflexion sur la francophonie et le dialogue des cultures, qui organise un dîner-débat chaque mois, et décerne un prix annuel, le Prix RS.

Le Cercle est accrédité auprès de l’Organisation internationale de la Francophonie en tant qu’ONG partenaire.

Il a été créé en 1971, c’était une émanation des clubs Richelieu du Canada, à vocation humanitaire et francophone. En 1984, Léopold Sédar Senghor (devenu académicien) lui a accordé son parrainage, le Cercle a alors pris le nom de Cercle Richelieu-Senghor de Paris.

Le Cercle a fêté l’an dernier soncinquantenaire. Nous avons publié à cette occasion une plaquette commémorative (des exemplaires sont à votre disposition à la sortie…).

Le Cercle s’emploie à porter les valeurs de solidarité, d’humanisme et d’universalité chères à Léopold Sédar Senghor et aux Pères fondateurs de la Francophonie.

J’attache en outre une importance toute particulière à ce que le Cercle reflète la francophonie des cinq continents et mette en lumière ses enjeux, notamment sa dimension économique.

Je tiens aussi beaucoup à ce que le Cercle soit un espace de rencontre, de mise en réseau.

***

Comme de coutume, je voudrais maintenant évoquer brièvement l’actualité du Cercle et de la Francophonie:

Le mois d’octobre a été riche en événements auxquels le Cercle a été convié :

  • Colloque à l’Assemblée nationale sur les relations Europe-Afrique organisé par l’APF,
  • Conférence des Ambassadeurs africains sur la francophonie économique, à l’Académie des Sciences d’outremer,
  • Par ailleurs, 2 des pères de la Francophonie ont été à l’honneur : Hommage à Habib Bourguiba, 1er président de la Tunisie, à la mairie du 6ème, et un à Norodom Sihanouk roi du Cambodge à l’occasion du centenaire de sa naissance, à l’initiative de l’APF.
  • un colloque s’est tenu au Sénat sur un thème qui me semble particulièrement important :  l’accessibilité des contenus en français sur internet face à la domination des géants américains du numérique (les GAFAM : Google, Amazon, Facebook…), colloque organisé sous le haut patronage conjoint du Président du Sénat et de l’ambassadeur du Canada.
  • Je voudrais également évoquer la participation du Cercle aux activités de l’Organisation internationale de la Francophonie, en lien avec notre statut d’ONG partenaire : deux de nos membres participent activement aux travaux de la Commission Éducation de la conférence des ONG, et je les en remercie vivement : Mme Alicia Virasolvit, professeure à l’Université de Bourgogne et M. Guy Lavorel, président honoraire de l’Université Lyon3.
  • Deux séances de dédicace de notre livre collectif L’héritage de Senghor 

Je rappelle que l’idée de cet ouvrage a été lancée après la soirée d’hommage à Senghor tenue ici-même il y a un an : nous avons réuni les contributions de 50 auteurs, de 15 pays, ainsi que les reproductions d’œuvres des plus grands artistes du 20ème siècle ayant illustré les livres de Senghor : notamment Marc Chagall et Pierre Soulages disparu tout récemment, avec qui il avait noué une longue amitié.

Moins d’un après, cet ouvrage de 400 pages est sorti en septembre aux Editions L’Harmattan. (fiches disponibles à la sortie)

  • Une à la Rhumerie Bd St Germain, à l’occasion de la remise du Prix littéraire Senghor par l’association Plume Noire (saluer la présence de Mme D. Loubao, sa présidente)
  • L’autre aux Editions L’Harmattan.

Et pour terminer je voudrais souligner que La Francophonie économique est en bonne voie, avec la tenue à Abidjan fin octobre de la 2ème Rencontre des entrepreneurs francophones sous l’impulsion du MEDEF, elle a réuni les délégations patronales de 28 pays, et s’est dotée d’une structure permanente, l’Alliance des patronats francophones, basée à Paris.

Voilà pour les points d’actualité.

Aujourd’hui nous accueillons Mme Sarah Doraghi, journaliste et comédienne franco-iranienne.

J’aurais aimé m’attarder en introduction sur plusieurs millénaires d’une civilisation raffinée, les Perses, Persépolis, le prophète Zarathoustra et le Zoroastrisme, ou encore Avicenne grand philosophe et médecin. J’aurais aimé mettre l’accent sur l’Iran carrefour de civilisations aux confins de l’Inde, de l’Asie centrale et du monde arabe, qui a attiré beaucoup de convoitises : invasion par Alexandre le Grand (4èmes AV), conquête arabe (au 7ème siècle) qui a imposé son alphabet et sa religion, envahissement par les Mongols de Gengis Khan, d’autres encore…

J’aurais aimé évoquer un pays où la poésie tient une place si importante, où les poètes sont vénérés, comme le poète Hafez à Shiraz dont le mausolée attire chaque jour des centaines de visiteurs.

Mais cette riche histoire est occultée aujourd’hui par le poids de l’actualité : après 40 ans de chape de plomb, le combat initié par les femmes d’Iran pour la liberté.

Tout à l’heure je présenterai Mme Sarah Doraghi avant de lui donner la parole, mais pour l’heure je vous laisse à vos échanges que je souhaite chaleureux et enrichissants.

Chers Amis,

Le moment est venu de donner la parole à notre invitée :

Chère Sarah Doraghi, vos parents ont décidé de vous envoyer en France pour vous mettre à l’abri de la guerre Iran-Irak et de la révolution iranienne, et vous êtes arrivée dans notre pays en 1983, à l’âge de 10 ans, sans parler un mot de français, en compagnie de vos deux sœurs et de votre grand-mère.

Vous avez fait vos études en France, et vous êtes diplômée de l’École Supérieure de Journalisme de Paris.

En 2001, vous avez fondé une agence de presse pour proposer des contenus rédactionnels à la presse écrite et audiovisuelle.

Vous avez été présentatrice sur diverses chaînes de télévision,

Et notamment, en 2006, vous avez intégré, sur France 2, l’émission « Télématin », de William Leymergie, où vous avez pris en charge la chronique Culture en Régions, que vous avez présentée durant 13 ans, jusqu’à fin 2019.

Vous êtes aussi auteure et présentatrice de « L’Iran dans le coeur», une série de 5 documentaires de 30 minutes, réalisée en Iran pour la chaîne de télévision ARTE.

Vous avez publié deux livres qui relatent votre expérience de la France et de sa langue.

Vous avez créé le spectacle « Je change de file » en 2014. Vous changez de file grâce à votre passeport français… Ce spectacle a été joué à guichets fermés pendant 5 ans en France et dans divers pays francophones. C’est ce spectacle qui m’a permis de vous découvrir, en janvier 2017, il y a presque 6 ans, au théâtre le Lucernaire, à Montparnasse. J’avais toujours eu depuis l’idée de vous inviter au Cercle. Et aujourd’hui vous êtes avec nous, à un moment où les projecteurs de l’actualité sont braqués sur l’Iran. Alors sans plus tarder, chère Sarah Doraghi, je vous cède le micro.

***

Chers Amis,

Notre soirée touche à sa fin.

Je tiens à remercier chaleureusement :

Mme la sénatrice Catherine Morin Desailly pour son accueil

Mme Sarah Doraghi qui a bien voulu être notre invitée d’honneur ce soir et à qui je demanderai encore de bien vouloir dédicacer notre livre d’or.

Mme Nathalie Brousse, notre Secrétaire générale, avec qui j’ai préparé cette rencontre.

Je vous rappelle d’ores et déjà la date de notre prochain dîner, qui aura lieu le 6 décembre.

Il sera consacré à la remise du Prix Richelieu Senghor 2022. Le jury a choisi cette année d’honorer le parcours d’une femme africaine, Mme Roukiatou Hampâté Ba, qui viendra spécialement d’Abidjan pour recevoir le Prix.

Notre lauréate dirige une fondation destinée à préserver et promouvoir le patrimoine oral africain. Celui qui est le mieux à même de vous parler d’elle, c’est notre ami Ivan Kabacoff, journaliste à TV5Monde et présentateur de l’émission Destination Francophonie, à qui je vais donner la parole.

Sur cette belle perspective, je vous dis à bientôt en vous souhaitant une excellente fin de soirée. »

Ivan Kabacoff et Alban Bogeat
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