Participaient à cette table ronde :
M. Frédéric BOUILLEUX, directeur de la langue française et de la diversité culturelle et linguistique, Organisation internationale de la Francophonie
S.E.M. Igor GREXA, ambassadeur, délégué permanent de la Slovaquie auprès de l’UNESCO
M. Xavier NORTH, délégué général à la langue française et aux langues de France, ministère de la culture et de la communication
S.E.M. Igor GREXA
Il faut distinguer, selon moi, la Francophonie institutionnelle de la francophonie réelle. Par ailleurs, à l’intérieur même de l’OIF, nous devons différencier les membres et les observateurs. Actuellement cinq membres et dix observateurs sont des pays de l’Europe Centrale et Orientale. Donc, les observateurs dominent nettement dans la région. Selon moi, toute la région ou presque est amenée à devenir observateur. Le statut d’observateur est généralement considéré comme une antichambre, au sein de laquelle les pays dont la francophonie n’est pas évidente doivent attendre un certain temps, avant d’obtenir le statut de membre. Non seulement pour qu’ils observent, mais surtout pour qu’ils soient observés. Cette approche générale, pourtant si sage, souffre d’un vice : il me paraît que la plupart de ces pays n’ont pas vocation à devenir des membres de plein droit de la Francophonie institutionnelle ou, en tout cas, n’en ont pas une motivation suffisante. Et si les choses restent dans l’état d’aujourd´hui, ces pays demeureront des observateurs éternels. La question de savoir si l’OIF possède une stratégie adaptée à une telle situation se pose donc.
Pourquoi les charmes de la Francophonie institutionnelle n’arrivent-ils pas vraiment à séduire ces pays ? Pour certains, l’aspect politique peut s’avérer un peu délicat. Ensuite, les observateurs ne versent aucune cotisation à l’OIF. Enfin, il est souvent difficile de convaincre les décideurs nationaux, qui ne sont ni francophones ni francophiles, des avantages de l’adhésion de plein droit à l’OIF.
La Francophonie institutionnelle cherche à arrimer les nouveaux venus, en utilisant différentes cordes, et souvent avec succès, il faut le reconnaître. Cependant, on oublie parfois que les nouveaux venus européens ont des attentes et des sensibilités différentes des anciens membres. Ils cherchent d’autres carottes auprès de la Francophonie que les pays qui y ont adhéré a l’époque post-coloniale. Ils paraissent plus mesurés quant à l’ambition de la Francophonie institutionnelle de s’engager davantage dans la géopolitique.
Le français a tendance à véhiculer une certaine force identitaire. Cependant, la francophilie n’est pas évidente pour ces nouveaux membres, qui se considèrent davantage comme des multilingues. Face à l’agressivité de l’anglais qui est considéré parfois comme un véhicule d’unipolarité, l’attachement à la langue française s’associe ainsi à la modernité, au refus d’une certaine mondialisation.
Pour conclure, la nouvelle francophonie doit renforcer l’emploi du français à travers la notion de liberté. Il faut se rappeler que le nombre de francophones et d’écoles qui enseignaient le français était déterminé par l’État au sein de l’Europe Occidentale et Orientale. Ce n’est plus le cas. Par ailleurs, la francophonie se développe par le biais de ce que nous appelons parfois une émigration non définitive. Les personnes étudient ou travaillent un temps dans des pays francophones, puis reviennent dans leur propre pays. Si la francophonie passait autrefois par la littérature, elle se renforce dorénavant pour des raisons économiques. Ainsi, PSA a récemment construit une usine en Slovaquie, qui emploie 3 300 personnes. Nous pouvons comprendre la colère des salariés français vis-à-vis de ces délocalisations. Cependant, cette expansion contribue au rayonnement de la langue française dans mon pays. Enfin, la pratique du français est nécessaire pour réussir dans les structures de l’Union Européenne. On constate ainsi qu’elle s’intensifie depuis l’entrée de la Slovaquie dans l’Union Européenne.
Frédéric BOUILLEUX
Je tiens tout d’abord à préciser qu’il n’existe aucune forme de hiérarchie ni de promotion automatique entre les trois statuts que peuvent avoir les États et gouvernements au sein de l’OIF – membre, observateur et associé. Ils traduisent un degré d’engagement différent dans l’institution francophone. Les critères d’adhésion sont précis ; les candidatures sont examinées attentivement par les États et gouvernements membres sur la base de ces critères. Nous sommes agréablement surpris de constater que de nombreux États souhaitent rejoindre un espace francophone, au sein duquel chacun doit pouvoir se sentir à l’aise dans le partage des grandes valeurs universelles qui constituent son ciment, et dans le respect de la diversité de ses membres qui en assure l’originalité et la richesse.
L’OIF a pour objectif de promouvoir la langue française dans le monde entier. Elle est l’unique organisation internationale qui a été créée sur la base de préoccupations linguistiques et culturelles. Nous militons pour la préservation et la promotion de la langue française dans un contexte plus global de défense du multilinguisme, seul garant de la diversité des expressions face au risque d’uniformisation qu’une mondialisation mal maîtrisée peut faire courir. Dès l’origine, la Francophonie fédère des personnes d’origines diverses, rassemblées autour du désir de partage d’un patrimoine culturel et linguistique commun. Ce n’est donc pas un hasard si la Francophonie a été l’un des fers de lance de la lutte pour la diversité culturelle et linguistique lors de la négociation de la convention de l’UNESCO, adoptée en 2005 et entrée en vigueur en 2007. Elle est toujours très active dans le travail de mise en œuvre de cet instrument juridique international unique en son genre. L’Europe est aussi un laboratoire de diversité culturelle et linguistique. Et c’est peut-être pour cela qu’elle est aujourd’hui l’un des plus grands pourvoyeurs d’aides aux actions de coopération avec les pays en développement. Maintenir la présence du français au sein de cet ensemble européen est donc indispensable, non seulement pour la France, mais également pour les pays en développement de l’espace francophone qui, grâce à cette langue que nous avons en partage, pourront accéder aux soutiens accordés par les instances européennes.
Xavier NORTH
Si nous voulons apprécier à sa juste valeur l’enjeu de cette nouvelle francophonie, nous devons abandonner une double nostalgie. La première nous ramène à cette époque révolue où toute l’Europe parlait français. Les élites ont changé et adoptent désormais l’anglais comme moyen de communication international. La deuxième nostalgie est liée aux fondements de la construction européenne. En effet, dans une Europe à six, le français s’est rapidement imposé comme la langue principale. Cette Europe des pays fondateurs a pu donner l’illusion de la continuité d’une prédominance française dans la région. Or, les élargissements successifs et l’entrée du Royaume-Uni dans le Marché commun ont changé la donne. L’anglais est maîtrisé par un européen sur deux, l’allemand par un sur trois et le français par un sur quatre.
À partir de ce constat objectif sur les rapports de force en présence, nous devons mettre en œuvre une sorte de realpolitik de la francophonie. Tout d’abord, le français est la troisième langue parlée en Europe. En outre, elle est la seule à conjuguer les deux caractéristiques suivantes : le français partage avec l’allemand le privilège d’être parlé par plus de deux États de l’Union Européenne. En outre, le français est une langue à diffusion internationale, qui est parlée dans le Sud ainsi que dans plusieurs pays du Nord, notamment le Québec. L’entrée d’un grand nombre de pays européens dans la Francophonie renforce ce pôle. Ainsi, le français est une langue Nord-Sud et peut donc offrir un autre choix que l’anglais dans le cadre de la mondialisation.
Notre modèle alternatif est fondé sur la diversité, ce qui explique pourquoi un certain nombre de pays où le français est peu pratiqué, mais qui se reconnaissent dans ses valeurs, cherchent à adhérer à l’espace francophone. La possibilité de participer à une plate-forme de débats entre le Nord et le Sud est une autre raison pour laquelle de nombreux pays souhaitent intégrer l’OIF. Ces caractéristiques peuvent redonner au français un avenir solide, d’autant plus que la France possède le taux de fécondité le plus important d’Europe, ce qui peut avoir des conséquences linguistiques. Le français n’est-il pas la langue de l’amour ?
Interventions de la salle
Plusieurs personnes réagissent : elles estiment qu’il y a eu un manque d’anticipation des besoins, et que, en Asie, par exemple, nous aurions du être plus innovant. Nous avons simplement géré le déclin et nous devons maintenant réinventer la manière de promouvoir le français ; par ailleurs en Europe, et notamment en république Tchèque où l’apprentissage du français se développe et qui va prendre la présidence de l’Union Européenne, le partage de la langue française pourrait conduire à un partage de la politique sur la place de l’Europe. Un intervenant se demande même si un Etat comme le Chili où la francophonie est très forte ne pourrait pas adhérer à l’OIF, question à laquelle Frédéric Bouilleux répond: « Rien ne s’y oppose ; s’il respecte un certain nombre de critères, le Chili peut poser sa candidature ».