Intervention – Senghor, le conciliateur des contraires

Babacar SALL, Poète et sociologue.

L’homme Senghor est un sujet historique complexe qu’il faut saisir en partant de l’axiomatique de la convergence humaine, fondement d’un nouvel humanisme. Cette complexité repose sur un paradoxe qui interprète le fait colonial comme une chance de reconstruire une culture de la fraternité et de la solidarité. L’idée de complémentarité et de dialogue est posée comme axiome de l’humanisme senghorien en opposition au conflit et à la différence.

Pour comprendre cet ancrage, il faut le situer dans le contexte historique de son arrivée en France, en liaison avec deux faits marquants :

– sa rencontre avec le président Georges Pompidou envers qui il exprima à la fois « une volonté jalouse d’indépendance » pour sa culture en même temps qu’ « une amitié pour la France ».

– la rencontre avec la diaspora historique noire à travers des hommes de lettres comme Damas, Césaire, Etienne Léro, Claude Mac Kay qui lui donnèrent une idée du devenir des cultures négro-africaines de par le monde.

Ces rencontres s’articulent à un double phénomène qui a contribué à la formation d’une personnalité conciliatrice :

– la situation cahotique de l’Occident liée à la crise économique et ses effets en tant que modèle de référence, entraînant ainsi une littérature de déclin comme le soulignent de multiples ouvrages tels que : le « Déclin de l’Occident » d’Oswald Spengler ou la « Décadence de la nation française » de Robert Aron.

– la renaissance de la culture noire à Paris à travers le jazz et l’exposition coloniale qui ont engendré une certaine curiosité populaire et institutionnelle.

– l’influence des arts dits nègres sur des artistes et des intellectuels célèbres comme Picasso, Matisse, Modigliani, Cocteau, etc.

C’est à partir de ces données que l’on peut établir le dispositif conceptuel qui charpente l’humanisme senghorien, basé sur un double processus inverse de production d’antinomes, c’est-à-dire de couples de phénomènes antagoniques, et d’universaux qui sont vecteurs de pensées passerelles :

– les antinomes : Afrique/Occident, colonisation/indépendance ; colonisés/ colonisateurs,paix/conflit,poésie/politique,mort/vie, enracinement/ouverture, divergence/ convergence, etc.

– les universaux : humanisme, paix, métissage, poésie, dialogue des cultures, etc.

C’est à partir de ces réalités extrêmes que se définit la typologie de la négritude qui est un humanisme identitaire reposant sur le continuum (enracinement-ouverture, racisme-anti-racisme ). Ainsi se déclinent les couples oppositionnels qui renvoient à autant de situations historiques de l’Afrique dans sa relation d’extériorité avec l’Occident.

A la négritude littéraire et culturaliste de Senghor, on peut alors opposer la négritude scientifique du Pr Cheikh Anta Diop. De même, on peut distinguer la négritude de combat de Césaire à la négritude humaniste de Senghor.

Le paradigme de la conciliation dans la pensée de Senghor exprime, en somme, une problématique de la paix qui admet le conflit et la différence comme une ressource supplémentaire pour inventer, par le dialogue, la civilisation de l’Universel, c’est-à-dire le stade le plus achevé des formes humaines en actes.

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