Intervention de Monsieur le Sénateur Jacques LEGENDRE
Mesdames, Messieurs,
Il m’est demandé de parler de la dimension politique de la francophonie.
Quand des hommes politiques sont à l’origine d’un concept, comme celui de francophonie, on peut penser qu’ils ont une visée politique. Je crois que personne ne peut soupçonner le Président Senghor de ne pas avoir vu, dés le départ, la dimension politique de l’action qu’il voulait entreprendre.
Pour nous, les parlementaires de la francophonie, puisque je suis secrétaire général de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie, Léopold Sédar SENGHOR est une référence essentielle, c’est un peu notre Père fondateur.
Nous aimons à rappeler une formule qui a été la sienne et dont s’inspire notre action. Il disait, en 1966, : « Ce sont les peuples qui, par l’intermédiaire de leurs élus, pousseront les gouvernements à aller de l’avant. Il faudrait réunir, dans une association interparlementaire, les parlements de tous les pays où l’on parle le français. »
« Ce sont les peuples qui pousseront les gouvernements… » : les gouvernements n’étaient pas moteur au départ, ils jouaient même plutôt un rôle de frein que de moteur.
– Pourquoi les gouvernement n’étaient-ils pas moteur ? Par ce qu’ils n’avaient pas pris conscience de l’importance du concept ou par ce qu’ils en craignaient des contre coups négatifs ?
– Quelles pouvaient être ces difficultés qui inquiétaient les gouvernements, les diplomates qui entourent les Chefs d’Etat, les guident et souvent les freinent plus qu’ils ne les poussent ?
Une autre citation est également révélatrice. En mai 1967, il y a donc exactement 39 ans, se crée, à l’ instigation de Senghor, à Luxembourg, l’Association Internationale des Parlementaires de Langue Française ( AIPLF). D’entrée de jeu, 25 pays sont représentés par des Parlementaires. Un article de presse rend compte de cette 1ère réunion, je ne dirai pas conjuration, parlementaire de Luxembourg de la manière suivante : « des parlementaires de plus de 25 pays, dont le Luxembourg, la France, le Canada, les pays africains francophones, le Laos, Haïti, le Cambodge aussi et le Liban, se réuniront à Luxembourg, mercredi, pour créer une Association Internationale des Parlementaires de Langues Française… la France a suivi, avec le plus vif intérêt, le développement de la francophonie, depuis que Senghor, Président du Sénégal, et Habib Bourguiba, Président de la Tunisie, ont lancé, l’an dernier, l’idée d’une large communauté des pays de langues françaises. Mais le Général de Gaulle s’est refusé à parrainer une telle communauté, de crainte que la France ne soit accusée de néocolonialisme. C’est l’Assemblée Nationale française qui a organisé les contacts entre les divers parlementaires des pays francophones et l’initiative d’une assemblée constitutive est venue du Luxembourg. »
Voilà quelques indications intéressantes : la suggestion est venue de chefs d’Etat d’anciennes colonies : Léopold Sédar Senghor, Habib Bourguiba. Le Président du Niger, Hamani Diori, et le Roi du Cambodge, Norodom Sihanouk, ont, eux aussi, marqué leur attachement à la constitution de cette francophonie. La France n’est pas hostile, mais ses les diplomates disent: attention, prudence !
La francophonie, d’une certaine manière, c’est une auberge espagnole : chacun y apporte ce dont il ressent le besoin, mais ces apports peuvent être plus ou moins contradictoires.
Il y a les Français qui sont mal remis de la décolonisation et du drame algérien qui vient de se terminer.
Pour les Français, la guerre d’Algérie a été terrible. Les gens de ma génération se sont retrouvés, pour 27 mois parfois, en Algérie, à faire du maintien de l’ordre ou la guerre, qu’on l’appelle comme on voudra. J’ai eu la chance personnellement de ne pas y aller par ce que le cessez le feu est intervenu en 1962, au moment où ma classe risquait d’être appelée, mais pour beaucoup de gens de cette génération, elle a représenté une coupure et un engagement dans leur vie.
Elle a été aussi une déchirure politique. J’étais personnellement un militant gaulliste engagé, président des étudiants gaullistes. A l’époque, on est passé en quelques années d’un attachement très fort à l’Algérie, partie intégrante de la République française, à la reconnaissance du fait que, quand on est attaché à sa propre nation, on ne peut pas empêcher un groupe important d’hommes et de femmes de constituer leur propre nation et de devenir indépendants. Le général de Gaulle, lui-même, c’est bien connu, a évolué dans cette affaire.
Vous avez parlé tout à l’heure d’Eurafrique. Des jeunes s’enthousiasmaient pour l’Eurafrique. C’était l’occasion de circuler de par le vaste monde, dans un très grand ensemble. Il n’y a plus d’Eurafrique visible quand l’Algérie devient indépendante dans la rupture avec la France, après une longue guerre. Il y avait des grands projets dont on parlait et qui faisaient rêver : le transsaharien ! ll n’y a plus de transsaharien, à partir de ce moment etc…
Ce furent des moments difficiles, vécus dans le contexte de la guerre froide et, pour les Français, il pouvait y avoir dans la notion de francophonie des acceptions diverses. Chez certains, c’était une forme, considérée comme intelligente, de néocolonialisme ou, au moins, de diplomatie d’influence. La politique de coopération, lancée à ce moment là, pouvait être vécue avec beaucoup de sincérité. Elle présentait à la fois un engagement de la France en faveur du développement de ses anciennes colonies et un moyen de garder un contact avec elles: sur la carte du monde on continuait de voir des pays colorés en rose, et on voyait en rose également les anciennes colonies belges. C’était formidable !
Ce n’était évidemment pas l’attente ni l’approche des élites des pays décolonisés et certains, comme Senghor ou Houphouët- Boigny se faisaient accuser par une bonne partie de leurs intellectuels d’être trop mous, voire même à la limite de la trahison, dans leur attachement à ces notions. Vous avez évoqué le nom de Franz Fanon, il faut se souvenir des livres de Fanon qui ont été publiés à ce moment-là.
En 1967, j’étais jeune militaire, coopérant, en Afrique noire, comme professeur de français. Cela m’a permis de vivre un grand moment, chers amis, celui d’écouter à la radio, avec tous mes élèves rassemblés autour de moi dans une classe de seconde d’un collège de brousse en République centrafricaine, la voix de Senghor et la voix de Malraux, qui parlaient depuis Dakar, à l’occasion du festival des arts nègres. Cela m’a permis aussi de faire apprendre à mes élèves au fond de leur brousse, en seconde, les poésies de Senghor. J’avais décidé de laisser de côté le Lagarde et Michard, et d’apprendre le français à mes élèves à partir d’auteurs africains, pour leur montrer que l’on pouvait écrire en français, quand on était africain, et sortir des textes tout à fait extraordinaires et intéressants, à commencer bien sûr par les poésies du Président Senghor. Ce n’était pas évident, et cela inquiétait l’administration de l’éducation nationale centrafricaine qui était encore largement aux mains de coopérants français.
Tous ces éléments étaient présents dans ces “prudences diplomatiques”. Néanmoins, on ne peut pas non plus penser que la France était indifférente à la francophonie, car les acteurs, s’ils n’étaient pas toujours des diplomates officiels, n’étaient cependant pas très loin des cercles du pouvoir en France. Ainsi, le 1er Secrétaire général de l’AIPLF ( qui le restera jusqu’en 1982) est un député français, Xavier Deniau, le frère de l’académicien Jean-François Deniau, ancien administrateur de la France d’outre-mer, qui avait servi au Cameroun, à Dakar, et également au Laos. Pour eux, la francophonie, ce n’était pas un moyen de maintenir une relation de dépendance mais un moyen de conserver un contact avec des populations et des cultures qu’ils avaient appris à aimer et ils souhaitaient, comme le disait Jacques Chevrier tout à l’heure, que la France ne rentre pas tout à fait, qu’elle garde le contact avec cette ouverture sur le monde.
Le gouvernement français s’astreignait ainsi à beaucoup de prudence dans cette affaire, alors que ceux qui avaient été des combattants de la décolonisation et étaient devenus Chef d’Etat dans leur pays pouvaient estimer que, ayant amené leur pays à l’indépendance, ils n’étaient pas tenus à ces mêmes prudence. Ils se sont souvent référés à la langue.
J’ai oublié un autre épisode ! Je vous ai dit que j’ai servi en Centrafrique. Le 1er président de ce pays, Barthélemy Boganda, avait rêvé de créer les Etats Unis d’Afrique latine. Dans son projet, ce n’était pas le français, mais le latin qui allait tout fédérer. Il était prêtre, comme, au Congo Fulbert Youlou, c’était un peu l’internationale des soutanes qui voulait créer à ce moment là les Etats unis d’Afrique latine en Afrique Centrale. C’était un grand ami de Senghor, un grand humaniste, qui est mort dans des conditions mystérieuses ; s’il avait vécu beaucoup de choses se seraient sans doute passées de manière différente.
Parmi les figures de ceux qui ont constitué les moteurs du démarrage de la francophonie, je ne peux pas ne pas évoquer Philippe Rossillon, avec le Canada et le Québec.
Philippe Rossillon venait d’un petit mouvement qui s’était créé au début de la V République, « Patrie et Progrès », et marquait à la fois un grand attachement à la notion de patrie, à un certain nationalisme français, mais aussi un attachement au progrès politique. Il n’était pas de la famille gaulliste, mais différents thèmes se recoupaient. Il a joué un grand rôle dans tout ce qui a entouré le voyage du Général de Gaulle au Canada, à tel point que la gendarmerie royale canadienne voulait le mettre en prison et qu’il a été présenté un moment comme un espion français attaché à briser l’unité de ce pays ami qu’est le Canada.
Xavier Deniau et Philippe Rossillon ont été souvent des complices, dans ces actions, même s’ils venaient d’horizons un petit peu différents. Je songe aussi à Philippe Rossillon par ce que je suis de ceux qui, en 1967, ont apprécié les déclarations du Général de Gaulle sur le Québec, alors qu’elles étaient diversement perçues dans la famille gaulliste, au point qu’avec quelques autres étudiants j’ai passé presque une soirée à l’attendre sur la terrasse d’Orly à son retour. En fait il est arrivé trop tard, nous étions partis à ce moment-là, mais cela reste un de nos grands souvenirs.L’Assemblée Parlementaire de la francophonie a poussé à la création de l’ACCT en 1970. L’Agence a été voulue et soutenue par quelques chefs d’Etat et par les parlementaires francophones. Maintenant encore, l’acte créant l’ACCT est le seul traité international qui signifie l’existence de la francophonie, et il serait probablement difficile de le remplacer par un autre traité international actuellement.
Pour ma part, j’ai rejoint ces structures en 1973, quand j’ai été élu, très jeune, député à l’Assemblée nationale. Dans le mois qui a suivi, je me suis retrouvé à l’AIPLF, et on m’a envoyé aussitôt après, c’était les activités de l’époque, dans une mission qui se rendait en Haute Volta -on l’appelait encore comme cela- par ce qu’une sécheresse menaçait l’Afrique et que c’était une occasion de se mobiliser. Ce n’était pas encore des tâches très politiques, mais une solidarité interparlementaire s’exprimait à travers cette association.
D’autres associations sont nées à cette période. Elles portent en général, c’est le signe de l’époque, la notion de langue française, la plus ancienne c’est UIJLF, Union internationale des journalistes de langue française. Ce qu’on cible au départ, c’est la langue ; on disait « en commun », pas encore « en partage ». C’est Maurice Druon qui a inventé plus tard la formule « en partage ». J’étais à côté de lui à ce moment là, c’était dans l’avion qui se rendait au Sommet de la francophonie de Maurice, en 1993.
La société civile prenait ainsi toute sa place dans la construction de la francophonie, alors que le gouvernement français se montrait prudent et que d’autres gouvernements étaient parfois un peu coincés, Monsieur Masse l’a bien expliqué tout à l’heure en nous parlant de l’embarras québéco- canadien. On ne pouvait pas construire la francophonie sans les Québécois, on ne pouvait pas la construire non plus sans l’accord des Canadiens, et on ne pouvait pas vivre en permanence sur ce point une rupture ou une dispute.
Le septennat de Valéry Giscard d’Estaing est passé sans que le problème soit réglé. Giscard d’Estaing ne se désintéressait pas de la francophonie, au contraire : j’étais au gouvernement quand il a reçu le Premier ministre du Québec, Monsieur Lévêque. La consigne était de lui réserver des honneurs qui étaient ceux quasiment d’un chef d’Etat à l’intérieur des bâtiments officiels, mais pas à l’extérieur, de manière à ne pas embarrasser nos amis canadiens.
En 1981, on se rendait bien compte que la francophonie ne pouvait pas fonctionner avec une petite agence, l’ACCT, qui parfois, Monsieur Valantin vient de l’exprimer, était en proie à des luttes un peu picrocolines avec d’autres petites structure avec un moteur très restreint par rapport à l’ampleur internationale du projet. L’idée était alors de réunir un jour les chefs d’Etat et de gouvernement. Le mot « gouvernement » est merveilleux, puisque un gouvernement participant n’est pas nécessairement le gouvernement d’un Etat internationalement reconnu. C’est ce qui a permis d’en sortir.
Je n’ai pas vécu le 1er Sommet, je n’étais plus parlementaire à l’époque, je n’avais pas été réélu en 1981, et c’était juste avant les élections, en 1986, que s’est tenu ce Sommet. Mais je pense que, si le Président Mitterrand l’avait réuni à Versailles, c’était pour signifier l’importance qu’il lui portait et sa volonté de voir la France, où les débats sur le néocolonialisme s’éloignaient un peu, s’impliquer davantage dans la francophonie.
Il y a eu ensuite le Sommet de Québec, que j’ai vécu. J’étais pour la 1ère fois secrétaire général de l’AIPLF, toutefois, je n’y étais pas en tant que membre de l’AIPLF, mais en tant que membre de la délégation française, emmenée par le Président Mitterrand en Concorde. Nous avons eu la joie de faire une entrée dans Québec avec le Royal Régiment of Canada en jaquettes rouges et le bonnet à poils. J’avais le sentiment que nous venions de prendre une revanche sur la bataille des plaines d’Abraham, c’est un des souvenirs que je garderai, avec quelques autres aussi. On était en cohabitation et le Premier ministre, Jacques Chirac, était reparti au moment où le Président arrivait. Nous avions deux temps, le Premier ministre dans les réunions ministérielles préparatoires, puis le chef de l’Etat, qui venait lui-même pour les séances les plus officielles. C’était 20 ans, exactement, après le discours du Général de Gaulle et cela signifiait surtout que toutes ces crispations étaient surmontées et que le Canada, et le Québec avec lui, prenaient pleinement leur part dans cette affaire. J’en garderais aussi le souvenir d’un discours de M. Thomas Sankara, charismatique président révolutionnaire de la République de Haute Volta, devenue Burkina Faso, déclarant, en levant le poing, que la révolution l’emporterait.
J’ai eu la chance d’accompagner à nouveau le Président Mitterrand, et encore en Concorde, au Sommet suivant. Le Sommet de Maurice, en1993, a été important, par ce qu’on y a vu apparaître un thème nouveau. Avec ce Sommet, la francophonie est devient un élément actif de la diplomatie internationale. On était à l’époque en train de se battre autour du GATT, sur le problème suivant: est-ce que les industries culturelles vont être considérées comme des marchandises comme les autres et être concernées par les accords du GATT qui est l’ancêtre de l’OMC, Organisation mondiale du commerce ? Jacques Toubon était Ministre de la culture, et je parle sous le contrôle d’Anne Magnant, Alain Juppé était Ministres des affaires étrangères et très intéressé par tout ce qui se passait au Canada. Nos amis canadiens, tant canadiens que québécois, qui étaient vraiment sur la même longueur d’ondes de ce point de vue là, nous avaient passé une information tout à fait intéressante : le Canada avait obtenu de son grand voisin américain, en se battant durement, que ses industries culturelles puissent bénéficier d’une exception dans ce qu’on appelait les accords de l’ALENA, c’est à dire, les accords économiques qui rassemblent le Mexique, les Etats Unis et le Canada. Ils s’étaient battus durement pour y arriver, il n’y avait donc pas de raison que nous ne fassions pas la même chose dans le cadre des accords mondiaux qui étaient en préparation avec le GATT. Tous les Etats présents à Maurice ont adopté une position commune en disant : nous refuserons que les biens culturels soient traités comme les marchandises. Cela a fortement renforcé la position prise conjointement par la France et le Canada dans ces négociations.
On ne se contente plus, désormais, de relations entre parlementaires, de rencontres entre hommes politiques, de considérations générales etc.. On recherche des positions communes dans les institutions internationales. Autre évolution aussi, et le discours aux Africains du président Mitterrand était passé par là, on commence à voir apparaître des exigences dans le domaine des bonnes pratiques démocratiques, et cela va revenir de plus en plus régulièrement à l’occasion des Sommets de la francophonie.
Deux autres Sommets sont importants de ce point de vue là : le sommet de Hanoï, où il s’agit de clarifier les structures de la francophonie, et de la doter d’un secrétaire général qui soit un patron politique connu. L’idée est de nommer secrétaire général M Boutros Ghali qui était auparavant secrétaire général des Nations Unies, et qui s’était fait évincer un peu sous la pression américaine. Le fait de faire appel à lui avait un sens assez précis sur le plan international. On se disait, du côté français, que la francophonie y gagnerait en crédibilité et en visibilité, par ce que Boutros Ghali était l’ancien secrétaire général des Nation Unies, mais aussi parce qu’il n’avait pas été reconduit notamment en raison de sa francophonie. J’ai entendu de mes oreilles à l’ONU, “ on ne va tout de même pas garder comme secrétaire général des Nations Unies, un universitaire égyptien formé à la Sorbonne”. Il était d’une certaine manière, un petit peu victime de sa francophonie. Mais sa nomination n’était pas souhaitée par de nombreux Etats africains et il y avait d’autres candidats. A Hanoï, je nous vois encore à l’hôtel Métropole, avec Boutros Ghali qui attendait son élection pendant que, dans les couloirs, le Président Chirac et quelques autres étaient en train d’essayer d’appuyer son élection. Boutros Ghali est Egyptien, or l’Afrique noire, l’Afrique subsaharienne ne se reconnaissait pas dans l’Egypte qui est un pays très à part dans le continent africain. Nos amis Africains avaient le sentiment que les Français avaient fait pression et d’une certaine manière les avait dépossédé de ce qui aurait dû leur revenir, un secrétaire général vraiment africain, subsaharien, à la tête de la francophonie.
Autre point , je crois que c’est aussi le sommet où on a vidé une bonne fois le problème du néocolonialisme et de la francophonie. Qui pouvait imaginer que les Vietnamiens, les héritiers du viet-minh, pouvaient tenir un sommet de la francophonie à 500 m du mausolée de Ho Chi Minh, en prêtant la main à une action néocolonialiste ?
Au sommet de Moncton on voit apparaître autre chose: on voit des manifestants conspuer les représentants du gouvernement de la République démocratique du Congo et s’en prendre au caractère non démocratique de certains des chefs d’Etat présents. Cela va obliger la francophonie à s’interroger sur le sens et les valeurs de son rassemblement. A côté du français en partage, on voit apparaître les valeurs de la démocratie, les déclarations de Bamako, le fait que des Etats dictatoriaux n’ont peut-être pas leur place dans la structure de la francophonie. C’est en tout cas la position qu’a prise très tôt l’Assemblée de la francophonie, qui est devenue une Assemblée à ce moment là. Nous avons décidé que tout Parlement qui ne procéderait pas d’une élection internationalement constatée, reconnue comme correcte, valable et loyale, n’aurait pas sa place au sein du Parlement de la francophonie et nous avons demandé à nos chefs d’Etat et de gouvernement d’avoir également cette vision.
L’élection du Président Diouf a été à la convergence de ces différentes exigences, puisqu’il est à la fois un chef d’Etat qui a accepté le verdict d’une élection démocratique en quittant le pouvoir, et un représentant éminent du continent africain, successeur de Senghor, incarnant les mêmes valeurs et, notamment, l’ approche universelle qui a été celle du Président Senghor.
Voilà les quelques remarques que je voulais faire, j’ai été trop long, j’en suis conscient, mais je voulais vous donner ces éclairages. La francophonie est encore en construction, et peut-être aurons nous encore tout à l’heure l’occasion de parler de son avenir, par ce qu’il est indispensable qu’elle ait un avenir et qu’elle soit un élément constituant de ce vingt et unième siècle qui s’esquisse.