Pourquoi cette démarche vers la francophonie ?

Participaient à cette table ronde :

S.E. Mme Irina BOKOVA, ambassadeur de Bulgarie
S.E. M. Kostiantyn TYMOSHENKO, ambassadeur d’Ukraine
Mme Marina RUHLAND-CHRSYTOPH, conseiller politique, ambassade d’Autriche
M. Marcel ESCURE, chef du service des affaires francophones, ministère des affaires étrangères

 


 

S.E. Mme Irina BOKOVA

Je vous remercie de m’avoir invitée à ce colloque important pour la Bulgarie.
Je remercie également Julia KRISTEVA pour son intervention.

L’attachement à la francophonie de la Bulgarie date de la domination ottomane. En effet, les idées de libération étaient souvent liées à la France. Après la chute du communisme, il était naturel que la Bulgarie se rapproche de l’espace francophone. Il s’agit donc d’une francophonie choisie, qui n’est pas liée à la langue : nous considérons que la francophonie est porteuse des valeurs et de l’idéal européen. Elle représente également la négation de l’uniformité ainsi que la liberté d’expression.

Je suis très attachée à la mise en œuvre de la convention sur la diversité, d’autant plus que je suis vice-présidente du groupe francophone au sein de l’UNESCO. Selon moi, la Francophonie peut jouer un rôle important dans la promotion et le renforcement du multilatéralisme. Nous avons débattu sur les grands défis de notre temps, lors du dernier sommet de la Francophonie qui s’est tenu à Québec. Il existe deux manières d’appréhender la francophonie. La première passe uniquement par la promotion de la langue française, tandis que la deuxième, plus large, considère que la Francophonie doit relever les défis de notre temps et s’engager davantage sur la scène internationale. Vous aurez compris que la Bulgarie est plus proche de la deuxième tendance.

Le français a toujours occupé une place importante dans notre système éducatif. Il est cependant devancé par l’anglais dans l’enseignement des langues étrangères. Les Bulgares sont très polyglottes et nous avons 48 lycées bilingues français qui accueillent 10 000 élèves. La Bulgarie est donc le deuxième pays francophone dans l’Europe Centrale et Orientale après la Roumanie. Cette tradition francophile est très importante et date d’avant notre indépendance. À la fin du 19ème siècle, la première constitution bulgare a été rédigée en français. Nous devons cependant déployer de nombreux efforts pour renforcer la pratique du français dans notre pays. Ainsi, après l’adhésion à l’Union Européenne, nous avons lancé un projet sur les formations des fonctionnaires publics bulgares en français.

Pour les bulgares, la Francophonie représente le refus de l’uniformité ainsi que l’ouverture vers d’autres cultures. C’est la raison pour laquelle nous y sommes très attachés. La force de la Francophonie réside dans le fait qu’elle n’impose pas une seule langue. Dans un monde globalisé et face aux enjeux économiques actuels, la Francophonie est une manière de voir le monde différemment et de miser sur la diversité. Selon moi, elle a aidé la Bulgarie à renouer avec son identité nationale. Nombreux étaient ceux qui craignaient la disparition de l’identité bulgare lors de l’entrée dans l’Union Européenne. Je suis au contraire convaincue que notre adhésion à l’Europe ainsi que notre entrée dans l’espace francophone nous ont aidés à retrouver notre identité nationale. En effet, la Francophonie nous apporte une méthodologie, afin de mieux comprendre le monde et chercher des réponses à nos questions.

 


 

S.E. M. Kostiantyn TYMOSHENKO

Le français est désormais la troisième langue, derrière le russe, qui est devenu une langue étrangère depuis l’indépendance, et l’anglais. Cependant, dans plus de 2 000 écoles en Ukraine, plus de 300 000 élèves apprennent le français. En outre, au sein des quatorze universités, 5 000 étudiants apprennent le français pour leur profession (professeur de français ou interprètes). Un travail actif est mené par les Associations des professeurs de français, des francophones d’Ukraine, des diplômés de l’enseignement supérieur français. En plus il faut noter les larges activités de l’Institut français de Kiev ainsi que de ses filiales, de prés de 30 associations locales de l’Alliance française. Ce sont ces raisons qui ont poussé l’Ukraine à adhérer à la Francophonie.

A cet égard, ce colloque sur la nouvelle francophonie en Europe est intéressant pour nous. L’Ukraine est indépendante depuis 17 ans. Comme l’a dit justement Julia KRISTEVA, ce sont les valeurs françaises et européennes qui sont importantes à nos yeux et qui expliquent notre attachement à la francophonie. Cet attachement est lié à notre histoire. En effet, dès le 14ème siècle, les étudiants allaient à Paris pour faire des études à la Sorbonne. Au 18ème siècle, des professeurs français ont été invités pour enseigner le français à l’université de Kiev.

L’Ukraine est membre observateur de l’OIF depuis deux ans, car nous partageons les valeurs et les idées promues par la France. Aujourd’hui, la Francophonie est devenue une organisation internationale importante, qui traite du développement de la langue, mais qui réfléchit également sur les grands enjeux actuels. Il est donc important pour nous de participer à cette organisation.

Si notre intérêt pour la langue française est lié à notre histoire, il est de plus en plus d’actualité en raison du développement des relations économiques entre l’Ukraine et la France ainsi que d’autres pays francophones. Nous avons donc besoin de personnes bilingues dans ce cadre. En outre, la richesse de la culture française, très connue en Ukraine, donne le goût aux jeunes d’apprendre cette langue e, pour ma part,t je ne regrette pas de l’avoir apprise.

 


 

Marina RUHLAND-CHRSYTOPH

L’Autriche est fière d’appartenir à la famille francophone. En effet, le français a été pendant longtemps la langue de la cour autrichienne, et ce jusqu’en 1918. Il continue d’occuper une place importante dans nos institutions. C’est en effet la deuxième langue pour 125 000 élèves et 3 000 étudiants. De plus, les échanges universitaires entre nos deux pays se développent de plus en plus. Le lycée de Vienne joue un rôle clé dans ce contexte. La maîtrise de la langue française est un critère d’admission à la diplomatie autrichienne, le français étant l’une des trois langues dispensées à l’école fédérale de diplomatie.

Outre cet attachement historique à la langue française, l’Autriche partage également les valeurs fondamentales de la francophonie, à savoir la paix, la démocratie et la défense des droits de l’homme. Nous avons suivi l’ouverture de la Francophonie aux pays de l’Europe Centrale et Orientale. Etant membres de la famille francophone, nous pouvons poursuivre nos objectifs dans les organisations internationales comme les Nations Unies. L’Autriche a été l’un des premiers pays à ratifier la convention sur la diversité des expressions culturelles de l’UNESCO. Nous nourrissons enfin le projet ambitieux d’établir une présence francophone permanente auprès du siège des Nations Unies à Vienne.

Pour conclure, je souhaite vous dire que l’Autriche est en symbiose avec les valeurs de la Francophonie. Nous souhaitons remercier à cet égard tous les pays de la Francophonie qui ont soutenu l’Autriche dans l’obtention d’un siège au Conseil de Sécurité des Nations Unies.

 


 

Marcel ESCURE

Il existe un désir de France dans l’Europe et un désir d’Europe au sein de la Francophonie. Cette attractivité nouvelle est constituée en fait de retrouvailles. Le français occupait une place importante en Europe, jusqu’à la deuxième guerre mondiale et la coupure de l’Europe. Mais même durant cette période sombre, les échanges culturels et universitaires ont perduré.

Ces retrouvailles culturelles sont portées par les intellectuels, comme Milan Kundera, les expatriés et les voyageurs. La mobilisation des gouvernements n’est intervenue qu’a posteriori. Cependant, ces retrouvailles ont affronté des difficultés. Tout d’abord, le français n’est plus enseigné comme autrefois, en utilisant par exemple les pièces de Molière. Les jeunes ont de plus en plus recours à des formations linguistiques à distance. De plus, la concurrence est vive avec d’autres langues, comme le russe ou l’allemand et surtout l’anglais.

Malgré cela, le mouvement de la Francophonie s’étend, notamment à travers la volonté de se fonder sur les valeurs françaises et sur la quête de liberté et de diversité. En outre, le chemin vers l’Union Européenne, et auparavant le Conseil de l’Europe, passe par la France. Enfin, il ne faut pas oublier le rôle dynamique de nos représentations diplomatiques, des ordres professionnels de ces pays en relation avec les nôtres, des entreprises, que ce soit les grandes entreprises françaises, les PME ou les PMI. Toutes ces interactions ont contribué au développement de la francophonie dans les pays d’Europe Centrale et Orientale.

Le rôle de la France ne doit pas non plus être négligé. En effet, elle a très rapidement renoué des relations avec l’Europe de l’Est. Des séries d’invitations et d’actions ont été lancées très rapidement, vers des pays francophones et sympathisants. Les instituts étrangers ont joué un rôle dans le développement de la francophonie, tandis que le gouvernement français a été très influent dans ce domaine. Tous ces facteurs expliquent la création de cette nouvelle Francophonie en Europe. L’ouverture vers les pays d’Europe Centrale et Orientale a en outre permis de renouveler cette Francophonie. Cet élargissement s’est poursuivi au sommet de Québec, avec l’arrivée de la Lettonie comme observateur de l’OIF.

La Francophonie dispose de nombreux outils, comme la chaîne TV5 Monde ou l’Association des universités francophones, pour se développer en Europe. Nous avons décidé de mettre en place un programme ambitieux qui permettra aux étudiants des pays francophones de poursuivre leurs études n’importe où dans l’espace francophone.

 


 

Yvan AMAR

Pour les pays d’Europe Centrale et Orientale, quel est le rapport entre l’entrée dans la Francophonie et l’intégration au sein de l’Union Européenne ? L’entrée dans l’OIF était-elle considérée comme une étape vers l’adhésion à l’Europe ?

S.E.Mme Irina BOKOVA

L’adhésion à la Francophonie est effectivement un moyen de renforcer les liens entre les pays membres de cette organisation. Il ne faut pas oublier qu’après la chute du communisme, les pays d’Europe Centrale et Orientale ont d’abord adhéré au Conseil de l’Europe. En effet, l’Europe représentait pour nous les droits de l’homme. La Bulgarie a engagé, il y a trois ans, une coopération plus étroite entre l’OIF et le Conseil de l’Europe. Pour nous, l’Organisation Internationale de la Francophonie est un espace de coopération essentiel, à l’image des Nations Unies.

S.E.M. Kostiantyn TYMOSHENKO

Il n’existe aucun lien entre notre adhésion à l’OTAN ou à l’Union Européenne et notre statut d’observateur au sein de l’OIF. En effet, les deux premières organisations ont une vocation beaucoup plus large que la dernière. Il s’agit donc pour nous de deux processus différents.

Yvan AMAR

Favorisez-vous le français dans les réunions internationales ?

S.E.Mme Irina BOKOVA

Notre représentant prononce son discours à l’ONU en français car il préfère cette langue.

S.E.M. Kostiantyn TYMOSHENKO

Pour nous, cela dépend beaucoup des réunions. Si notre représentant parle les deux langues, nous lui conseillons de faire son discours en utilisant alternativement l’anglais et le français.

Questions de la salle

Dans la salle un intervenant fait la distinction entre francophonie et francophilie, qui n’est pas liée comme c’est le cas en Amérique latine, à l’usage du français, il s’interroge sur l’ampleur de l’apprentissage du français dans les pays membres de l’OIF. D’autres se demandent qu’elle est la place de l’enseignement du français dans l’éducation : les enfants n’apprennent plus le français comme le faisaient leurs parents et encore moins leurs grands parents. Le français est la langue des Jeux Olympiques et celles de fédérations parfois insolites comme celle des fédérations de pétanque.

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