Prix Richelieu Senghor 2008

Communiqué de presse

Sous le Haut patronage de Monsieur Abdou DIOUF, ancien Président du Sénégal, Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie, Anne MAGNANT, Présidente du Cercle Richelieu Senghor de Paris, a remis le Prix Richelieu Senghor 2008 le 14 octobre 2008, au Palais du Luxembourg, à Paris. Le jury, présidé par Bernard DORIN, ambassadeur de France, a décerné le prix à Cristina ROBALO CORDEIRO, Professeur à la Faculté des lettres de l’Université de Coimbra (Portugal), vice rectrice de l’Université de Coimbra, consul honoraire de France à Coimbra.

Cristina Robalo Cordeiro est une véritable humaniste. Elle a consacré une grande part de ses travaux à la littérature portugaise et française, puis, plus largement, aux littératures lusitaniennes et francophones ainsi qu’aux études romanes. Elle a travaillé notamment sur Malraux, sur Supervielle, auquel est consacrée sa thèse, et sur de nombreux écrivains portugais contemporains. Elle est professeur à l’Université de Coimbra, créée au 13ème siècle et qui constitue une référence majeure dans la culture portugaise.

Directrice de l’Institut d’études françaises de l’Université de 1991 à 2000, elle s’est tournée vers la francophonie pour proposer aux étudiants un rapport nouveau au français et à la diversité des cultures. Elle a ainsi créé le Centre d’étude de littérature belge de l’Université, qu’elle dirige toujours, recruté une universitaire québécoise, fait connaître et aimer la littérature belge, canadienne, maghrébine. Elle a également contribué à la mise en place de nouveaux cursus (journalisme, études européennes, tourisme…) qui attirent vers le français un public d’étudiants motivés. Vice présidente de l’Alliance française de Coimbra, elle a favorisé l’expansion de cette institution qui a signé une convention avec la Faculté d’économie et dispense des cours de français de spécialité.

Très attachée à la vocation universaliste de l’Université, Cristina Robalo Cordeira s’est beaucoup consacrée à l’association internationale des lusitanistes et à l’association portugaise de littérature comparée dont elle est l’actuelle présidente. En tant que vice rectrice, depuis 2002, elle prends une part active à de multiples projets qui préparent l’université du futur : Groupe de Coimbra constitué par des universités de 21 pays européens, Communauté des universités de la Méditerranée, qui regroupe 159 universités de 21 pays, grupo de Tordesilhas, où se retrouvent 38 universités portugaises, espagnoles et brésiliennes.

 


 

Allocution de Julien Kilanga Musinde, Chef de Division de la langue française et des langues partenaires, à l’OIF

Madame la Présidente,
Monsieur le Président du jury,
Mesdames et Messieurs,

Que dire d’autre, après avoir entendu une voix si brillante, celle de madame Magnant, Présidente du Cercle Richelieu Senghor ? Je serais tenté de me taire pour laisser place à l’écho de sa voix. Mais le poids de la circonstance ne peut se payer d’un simple silence. C’est pourquoi, je voudrais m’acquitter envers vous, en vous disant merci de m’avoir donné cette occasion de vivre ces moments d’intenses émotions.

Prendre la parole à l’occasion de la remise du Prix Richelieu Senghor 2008 est un honneur et aussi un plaisir. Je ne pouvais donc résister à ce plaisir de venir vous rencontrer ici, au Sénat, dans le cadre du cercle Richelieu Senghor de Paris, ce haut lieu d’échanges sur de nouvelles voies d’épanouissement de l’humain, fondées sur la rencontre des expressions culturelles diverses qui les nourrissent. Ce lieu qui aide à savourer les délices que procure la richesse des contacts postulant ainsi le rayonnement de la langue française, concept cher à la Francophonie au nom de laquelle je m’adresse à vous en cet instant précis. Voilà pourquoi, je ne puis mesurer le degré de mon émotion et de ma joie, cette joie qui aide à vivre avec un large souffle et à élargir les frontières de nos cœurs vers la solidarité, le dialogue guidé par les sentiments profonds et justes des hommes.

Je voudrais dire toute ma gratitude au Cercle Richelieu Senghor de Paris, au nom de Monsieur le Secrétaire général de la Francophonie, le Président Abdou DIOUF et de Monsieur l’Administrateur de l’Organisation internationale de la Francophonie, Monsieur Clément DUHAIME qui m’ont chargé de vous transmettre leurs cordiales salutations. Ils auraient bien voulu être avec nous ce soir mais, les contraintes de calendrier ne pouvaient leur laisser le temps de venir vivre cet instant solennel. Ils sont tous à Québec où ils sont appelés à participer au Sommet des Chefs d’Etat et de gouvernement de la Francophonie.

Je voudrais aussi remercier le jury présidé par l’Ambassadeur Bernard Dorin pour ce choix si judicieux. En jetant son dévolu sur madame la Vice-rectrice Cristina Robalo Cordeiro, ils ont fait honneur à la Francophonie. En effet, madame le Professeur Cristina Robalo Cordeiro est une véritable francophone. Elle partage avec nous la langue française pour l’avoir enseigné et surtout pour avoir consacré des travaux importants à cette langue qui constitue le lien fondateur de la francophonie. Elle a aussi fait de recherches importantes sur les littératures françaises, portugaises et francophones belge et québécoise. C’est la preuve qu’elle est le siège même de la diversité linguistique, concept qui se situe bien au cœur des préoccupations de la Francophonie pour qui la coexistence des langues et la diversité culturelle et linguistique tiennent une place de choix dans ses missions reprises dans son cadre stratégique décennal. Ce choix n’est pas fortuit car il est réellement la manifestation d’un véritable dialogue des cultures et le signe du partenariat confirmé entre la langue française et les autres langues, particulièrement les autres langues romanes.

Chère lauréate du Prix Richelieu Senghor,
Madame la Vice-rectrice et chère collègue,

Collègue parce qu’à une étape de ma vie je fus recteur d’une université africaine et aussi Vice président et puis président d’une Alliance française en Afrique.

Je voudrais m’adresser à vous en cette séance, avec des mots attachés les uns aux autres comme l’ombre à la substance qui la produit. Puis-je profiter de cette occasion pour vous féliciter et vous dire combien je partage votre bonheur. Vous êtes heureuse pour avoir compris que tout travailleur de l’esprit sait que la recherche d’un idéal est un véritable drame intérieur fait d’espérance et d’enthousiasme. Vous avez compris que le chercheur que vous êtes, est une personne dont la besogne est transfigurée par l’espoir, une personne capable de ressentir jusqu’à l’intolérable la souffrance de ne pas trouver, une personne qui pense que conquérir une nouvelle vérité, c’est s’emparer d’une étoile. Tout cela heureusement, vous le savez. Vous le dites et en vous engageant sur cette voie de la recherche et de l’écriture, vous vous l’êtes dit une fois pour toute. Vous savez que l’humble fait que vous aurez mis au jour rayonnera, resplendira, comme un grain de poussière d’or. Vous ne l’échangerez contre aucun trésor du monde, le fruit de votre travail, pour vous et de vous, ne ressemble à aucun autre. Cet effort mérite d’être soutenu.

La Francophonie est convaincue qu’elle a fait le bon choix en soutenant cette entreprise qui nous rassemble ce soir à côté de vous. Je vous félicite pour ce beau Prix qui vous honore et honore la Francophonie.

Encore une fois merci pour ces beaux moments d’émotion que nous allons passer ensemble ce soir.

 


 

Curriculum Vitae Cristina ROBALO-CORDEIRO

Cristina ROBALO CORDEIRO, née le 7 août 1954 à Coimbra (Portugal)
Deux enfants, un petit fils

Titres universitaires

  • Docteur de Troisième Cycle de l’Université de Poitiers, 1980 – Thèse: « La représentation concrète de l’univers abstrait d’André Malraux dans La Condition Humaine ».
  • Docteur de l’Université de Coimbra, 1991 – Thèse: « Jules Supervielle: uma poética da mobilidade ».
  • Professeur agrégé de littérature française de l’Université de Coimbra, 2000
  • Professeur titulaire de l’Université de Coimbra, 2001

Fonctions actuelles

  • Professeur titulaire de la Faculté des Lettres de l’Université de Coimbra.
  • Vice-Rectrice de l’Université de Coimbra (depuis le 12 février 2002), chargée des Relations Internationales, de la Pédagogie, de l’Évaluation Institutionnelle et de la Culture.
  • Consul Honoraire de France à Coimbra.

Charges administratives
Elle a été :

  • Directrice de l’Institut des Etudes Françaises de la Faculté des Lettres de Coimbra (FLUC), 1991-2000.
  • Coordinatrice scientifique et pédagogique de l’enseignement du français, FLUC, 1991-2001.
  • Coordinatrice du Pôle universitaire de Leiria (Université Catholique Portugaise)
  • Secrétaire Général de l’AIL (Association Internationale des Lusitanistes).
  • Membre du Bureau de la FILLM (Fédération internationale des langues et littératures modernes).

Elle est toujours :

Niveau local

  • Directrice des D.E.A en littérature française, Faculté des Lettres de Coimbra
  • Directrice du CELBUC (Centre d’étude de la littérature belge de l’Université de Coimbra)
  • Directrice de la revue Confluências, publication de l’Institut des Etudes françaises de la Faculté des Lettres de Coimbra
  • Membre du Centre de Recherche de Littérature Portugaise de la Faculté des Lettres de Coimbra
  • Directrice de la Collection Minerva/Literatura (Librairie Minerva, Coimbra)
  • Vice-présidente de l’Alliance Française de Coimbra
  • Conservatrice de la Maison-Musée Miguel Torga (écrivain portugais du XXème siècle)
  • Présidente du Conseil d’Administration de la Fondation Culturelle de l’Université de Coimbra

Niveau national

  • Membre de la Commission d’Evaluation des Universités portugaises
  • Expert auprès de la Fondation Calouste Gulbenkian
  • Présidente de l’APLC (Association Portugaise de Littérature Comparée)

Niveau International

  • Vice-présidente de l’AIL (Association Internationale de Lusitanistes)
  • Membre du Conseil Scientifique des Archives et Musée de la Littérature de Bruxelles (Centre de recherches littéraires de la Communauté française de Belgique)
  • Membre de l’Executive Board du Réseau Universitaire Européen Groupe de Coimbra, constitué par 38 universités de 21 pays européens
  • Membre de la Direction et Trésorière de la CUM (Communauté des Universités de la Méditerranée, réseau constitué par 159 universités de 21 pays méditerranéens)
  • Représentante des Universités Portugaises auprès du Grupo de Tordesilhas (réseau constitué par 38 Universités portugaises, espagnoles et brésiliennes)

Responsable de l’organisation de rencontres scientifiques internationales

  • Le Maître et son disciple (1993)
  • La foi en l´homme: rencontre autour de l´œuvre d´André Malraux (1994)
  • Le Temps de la Femme (1995)
  • Le Cliché (1995)
  • Henri Michaux (1996)
  • Le Souvenir d´enfance (1997)
  • La page blanche (1998)

Membre correspondant de Revues Etrangères

  • Studi Francesi, Université de Turin
  • Congo-Meuse, Bruxelles
  • Revue d’Histoire Littéraire de la France, Paris

Distinctions

  • Chevalier de l’Ordre des Palmes Académiques, 1993
  • Officier de l’Ordre des Palmes Académiques, 2001

 


 

Intervention Cristina ROBALO-CORDEIRO

Madame, Messieurs,

Les propos, si troublants, que je viens d’entendre me laisseraient sans parole si, prévoyant mon émotion, je n’avais composé d’avance un remerciement écrit.
Et ils me troubleraient encore davantage si je n’avais le sentiment d’être non pas le personnage dont vous venez d’évoquer les mérites mais, seulement, une figurante, parmi des milliers d’autres qui pourraient se montrer plus dignes de représenter un tel rôle dans un pareil théâtre.

Ce rôle, multiple et anonyme, c’est celui du francophone militant, de la francophone militante, qui se bat, vous le savez mieux que personne, aux quatre coins du monde, pour enseigner, défendre, illustrer la langue française et, avec elle, à travers elle, au-delà d’elle, quelque chose de plus, l’enjeu le plus précieux de son combat, et que j’aimerais tenter de définir, à ma manière, dans ces minutes où vous m’accordez le privilège d’occuper le devant de la scène en présence du plus choisi des publics.
Que la remise du Prix Richelieu Senghor ait lieu au Palais du Luxembourg, dans ce Sénat habité par l’Histoire, est une circonstance qui m’inviterait à me placer aussitôt sur le plan politique -, plan où doit être, en définitive, posée la question des langues et, beaucoup plus spécifiquement, la question du français. Mais je préfère m’en tenir d’abord à une perspective qui m’est plus familière, à l’expérience vécue « d’où je parle » quand je parle français.

Vous me permettrez donc d’évoquer en quelques mots, et comme à titre d’exemple, le milieu humain, culturel et, certes, politique où j’ai appris à comprendre ce que parler français veut dire.
Mon père, professeur de médecine à l’Université de Coimbra, était le fils d’un professeur de latin et de français, type même du polygraphe de province, surnommé Balzac par ses collègues du lycée, à cause d’un certain embonpoint, de la forme carrée du bout de son nez et surtout du culte qu’il vouait à la France, à ses usages, à ses valeurs, mais singulièrement à Jeanne d’Arc à laquelle il avait consacré une monographie passionnée et propre à exciter la jalousie de ma grand-mère.
A vrai dire, cet amour, je devrais dire cette vénération pour la France était un sentiment répandu, et pour ainsi dire inné, dans le Portugal d’alors. Depuis le 18e siècle, l’influence française, avant tout culturelle et idéologique, contrebalançait chez nous l’influence anglaise, avant tout économique et industrielle : si les produits manufacturés venaient de Londres, les idéaux, les livres – et les parures – venaient de Paris.

Nous ne parlions pas français à la maison mais nous parlions beaucoup de la France, surtout au moment où les vacances approchaient, puisque tous les ans, mon père, avec quelques confrères, affrétait un autocar qui, transportant nos trois ou quatre familles, accompagnées immanquablement d’un ecclésiastique, nous emmenait visiter telle ou telle région, la Loire, la Bretagne, Paris. Voyage très bien préparé où la fonction de cicérone était assignée chaque année à un père de famille différent. Je me souviens du mien guidant, de mémoire, notre chauffeur dans le dédale des sens uniques de la Capitale à travers des quartiers qu’il ne connaissait que d’après la carte soigneusement étudiée.

Si j’ai grandi dans une famille heureuse, francophile sinon francophone, j’étais cependant assez lucide pour m’apercevoir qu’autour de nous le régime autoritaire de Salazar faisait régner une atmosphère irrespirable, enfermant, au nom d’une chimère impériale et au prix de grandes souffrances, le pays, « orgueilleusement seul », dans une impasse historique. J’avais quatorze ans lorsque le vieux dictateur, à la suite d’un accident cérébral, fut remplacé, après 42 ans de règne, par Marcelo Caetano qui allait être renversé, six ans plus tard, en avril 74, par la « Révolution des Œillets ». C’était l’année de mes vingt ans.

Curieusement, si je communiais à la joie unanime (ou presque) de cette libération nationale, j’avais dans la tête et à la bouche d’autres chansons encore que les chants révolutionnaires qui faisait vibrer notre peuple – et auxquels je joignais ma voix tant il est bon de chanter ensemble la liberté retrouvée. Pour moi, soustraite par mon âge et par mon milieu familial aux violences du Régime, l’affranchissement personnel, inséparable de toute adolescence, s’était déjà opéré, non pas, j’ai un peu honte de le préciser, en lisant Le Capital ni même le Petit Livre rouge de Mao, mais la revue « Salut les Copains » et en fredonnant inlassablement les mélodies de tous les chanteurs de France et de Navarre.

Sur un registre plus sérieux, j’avais découvert mon, notre grand libérateur : Jacques Brel, avec son intransigeance, sa tendresse, et… son français de Bruxelles. J’étais amoureuse de Brel et comme une des mes meilleures amies l’était aussi nous nous exaltions et consolions mutuellement. Du reste, trente ans après sa mort, rien n’a changé. Et, dans les moments de désarroi, c’est encore vers lui que je me tourne pour reprendre contact avec la vie essentielle.

Avec Brel, la francophonie me faisait signe à mon insu (j’ignorais encore le mot) et c’était déjà un appel aux armes dans une lutte linguistique où l’ennemi, moins que ces infortunés « Messieurs les flamingants » (à qui je n’avais rien de personnel à reprocher), était les défaitistes et collaborationnistes de tout poil. Cette « chanson comique », si outrancière et à la limite incompréhensible pour quiconque n’est pas belge, me fut une espèce d’école de guerre, ou, plus exactement, de «Carmagnole » de la francophonie. Ainsi lorsque j’entends, comme c’est arrivé, des responsables d’universités françaises dire devant un public d’étudiants étrangers : « venez faire vos études chez nous, peu importe que vous ignoriez le français, nos cours sont en anglais », je me fais fort d’adapter « Les flamingands » à leur personne, même si à la virulence juvénile de Jacques Brel j’ai appris à mêler, côté québécois, la résistance sereine d’un Félix Leclerc.
Mais il me faut ajouter une note, de nature plus académique, à ces brefs mémoires de francophone reconnaissante.

Mes professeurs à l’université étaient de solides philologues, soit des romanistes formés à l’allemande, soit des historiens de la littérature, redoutables adeptes de la méthode lansonienne des fiches. Vers la fin de mon année de diplôme, j’eus la révélation, grâce à un de nos meilleurs assistants, des ouvrages de Barthes, Genette et Todorov.

Ma révolution intellectuelle se fit en quelques jours pour des raisons qui, je le souligne, ne sont pas tout honorables puisque le formalisme, tel qu’il m’apparut, possédait, entre autres avantages, celui surtout de m’épargner de passer par la fastidieuse érudition en ne m’intéressant qu’aux fonctions textuelles qui ne demandent que de l’attention. Je regrette aujourd’hui d’avoir voulu aller un peu vite en besogne, l’histoire des variantes d’un texte n’ayant pas moins d’intérêt que les modèles actanciels de Greimas.

Bénéficiant d’une bourse du Gouvernement français, j’allai faire, à Poitiers, une thèse de troisième cycle que je consacrai à La Condition Humaine d’André Malraux, sous la direction d’un professeur qui me galvanisa et que je m’en voudrais de ne pas nommer ce soir : Pierre Danger, dont le seul patronyme est déjà une promesse d’aventures littéraires. Plus tard, revenue au pays, et toujours encouragée par ce maître d’élite, j’obtenais le doctorat de mon université avec un travail sur les récits de Supervielle, où les paysages de l’Uruguay sont décrits dans la langue de l’Ile-de-France.

De Shanghaï à Montévidéo, c’est donc dans le français des bons auteurs que j’ai d’abord parcouru le « grand livre du monde ». De Jean-Marie Le Clézio à Olivier Rollin, ce sont les écrivains français du voyage qui m’ont conduite, comme par la main, à découvrir les francophonies répandues autour du globe, du Congo à l’Acadie. (J’ouvre une parenthèse pour signaler qu’ayant écrit le nom de Le Clézio le 9 octobre au matin j’ai appris le soir du même jour qu’il venait d’obtenir le Prix Nobel : je n’ai pas la présomption de penser qu’il y ait eu là un rapport de cause à effet, sinon renversé : c’est la grandeur d’un Le Clézio qui m’a fait grandir dans l’amour et la connaissance d’une littérature française mais sans frontières).

Voilà, à peu près, toute la genèse de ma francophonie. Je n’en fais état que pour rendre hommage à ceux qui, sans me détacher de ma langue maternelle et de ma culture nationale, m’ont appris à sentir mais surtout à penser autrement.
Car si je me laisse, moi aussi, avec un nombre croissant de lecteurs, séduire par les capiteuses végétations du français créolisé, il me faut consentir, venant d’une langue, comme le portugais, ouverte elle-même à tous les vents du large et à tous les métissages, que j’ai aujourd’hui davantage besoin de sobriété.

Est-ce un effet de l’âge ou de mes occupations administratives ?

Après m’être longtemps grisée de sensations, je reconnais de plus en plus ce que ma formation doit à la sévérité, jugée d’abord rébarbative, de la langue française classique. Je prends depuis quelque temps un plaisir nouveau à la sécheresse axiomatique, au jeu rigoureux des conjonctions et des constructions qui font si bien apparaître dans le discours même l’ossature de la pensée.
Si le portugais est une langue admirable, baroque, propice à l’amplification lyrique et aux enveloppements oratoires, il faut toute la maîtrise d’un Eça de Queirós ou d’un Fernando Pessoa, d’un Lobo Antunes ou d’un Saramago pour dominer cette superbe luxuriance.
Il faut leur maîtrise, ou la discipline syntaxique du français.

J’avoue qu’il m’arrive, devant tirer au clair mes idées sur un sujet embrouillé, de concevoir premièrement en français un texte, que je traduis ensuite en portugais. Rivarol, dans son fameux Discours avait tort de critiquer les langues à inversion mais il voyait juste en vantant la prose française qui, je le cite, « entre avec plus de bonheur dans la discussion des choses abstraites, et [dont la] sagesse donne de la confiance à la pensée ». Il est vrai qu’il n’écoutait ni la radio ni ne regardait la télévision, car comment jugerait-il la syntaxe, souvent si relâchée, de vos animateurs et présentateurs – pour ne rien dire de leur diction ?
Mais prête à verser, sous le couvert d’un éloge de la contention verbale, dans cette surabondance lusitanienne qui ne convient pas au petit discours de cérémonie que vous attendiez de moi, je réduirai à une seule remarque, peut-être un peu risquée, les considérations que j’annonçais sur la vertu politique de la langue française et que beaucoup, dans cette salle, seraient plus autorisés à faire que moi.

Je me contenterai, en guise d’illustration, d’une simple remarque de grammaire, qui concerne l’opérateur négatif si particulier au français : « ne… pas ». La syntaxe de la négation dédoublée n’est pas facile à faire saisir aux débutants qu’elle déroute comme elle m’a déconcertée lorsque je m’exerçais à la grammaire sur les bancs de l’Alliance française. Etrange redondance dans une langue réputée maigre. Le français, seul au moins parmi les autres langues que je connais, impose d’utiliser deux particules de négation, l’une avant, l’autre après le verbe, comme si on avait mal entendu et qu’il fallait que tout le monde comprenne bien que vous ne marchez pas. Si, disait Malraux, « l’esclave dit toujours oui » (eût-il aimé les calembours, il aurait dit : « si l’esclave toujours acqu’…Yes »), le français dit deux fois non. Non à la tyrannie, non à la soumission. Non au Dominant, non au Consentant. C’est la Jeanne d’Arc de mon grand-père, c’est l’appel du 18 juin et c’est, en termes moins guerriers, plus épistémologiques, la très positive « philosophie du non » de Gaston Bachelard, ce bon génie si français. Car le « ne…pas » est en réalité le ressort, le tremplin d’une logique dynamique. Le Non français est un élan. Cet esprit critique, cet esprit frondeur est une création de la France, à la fois sceptique et ardente. Nous avons plus que jamais besoin de la vertu décapante, revigorante de la langue française.

Mais, déposant mes armes, je brandirai, en forme d’envoi, le joyeux drapeau de la diversité linguistique, cet arc-en-ciel fastueusement célébré le 26 septembre dernier à la Sorbonne.
Si le français enseigne, mieux que toute autre langue européenne sans doute, à penser dialectiquement, chacune des autres langues, ouvrant son trésor d’intraduisibles différences, fait la pensée de l’Europe. C’est pourquoi je me fais un devoir de rappeler le considérable événement qu’aura été, en 2004, la publication du Vocabulaire Européen des Philosophies, écrit sous la direction de Barbara Cassin à l’intention de tous ceux qui se refusent à parler une langue sans y penser ou à penser dans une langue oublieuse de toutes les autres. Ce beau volume contient ce « quelque chose de plus » auquel je faisais allusion en commençant et qui n’est rien d’autre que la liberté de l’esprit, cette liberté culturelle que procure toute démarche authentiquement pluraliste et comparatiste.
La francophonie a pour nous toutes les résonances d’une polyphonie. A l’origine projet politique, elle nous est revenue transformée, enrichie de tous les accents de la planète, dont le moins savoureux n’est assurément pas l’accent canadien ! La mission poétique de la langue française, c’est, désormais, au seuil du XXIe siècle, de libérer, en Europe et dans le monde, les langues, toutes les langues.

Mais il est grand temps que je retienne la mienne ! Comment ne pourrais-je pas, au nom du Groupe de Coimbra qu’il a fondé, exprimer toute mon affectueuse admiration à Simon-Pierre Nothomb qui, j’en ai le vague soupçon, n’est pas pour rien dans l’excessive bienveillance avec laquelle les membres du Jury ont choisi d’inscrire pour la première fois une Portugaise sur le prestigieux palmarès du Prix Richelieu Senghor ?
Aux amis qui ont accepté de venir, de près ou de loin, m’entourer ce soir; à Madame la Présidente du Cercle Richelieu Senghor, Anne Magnant, si attentive, si attentionnée dans la préparation de cette soirée, j’adresse mon salut très chaleureux.
A Messieurs les Ambassadeurs – dont vous-même, Excellence, – qui ont bien voulu m’honorer de leur présence, à Monsieur Julien Kilanga, ancien Recteur et représentant de l’immense communauté francophone, je transmets les compliments de mon Université.
Vous me pardonnerez, Madame, Messieurs, d’avoir été aussi profuse, aussi peu française en somme. Il aurait suffi que je vous dise « merci » ou même « obrigada », et c’est en effet tout ce que j’avais à cœur de vous dire.

 


 

Publications de Cristina ROBALO-CORDEIR

Articles publiés :

Environ deux centaines

Livres traduits :

  • Michel Jarrety, A Crítica Literária
  • Giulia Sissa, A alma é um corpo de mulher
  • Jacques Attali, Dicionário do Século XXI
  • Paul Valéry, Alfabeto

Livres publiés :

  • A Paixão de Almeida Faria, Textos de Literatura, nº7, publ. INIC, 1980.
  • La représentation concrète de l’univers abstrait d’André Malraux, Textos de Literatura, nº11, publ. INIC, 1983.
  • Lógica do Incerto. Introdução à teoria da novela. Minerva/Literatura, nº2, Coimbra, 2001.
  • Atelier de Literatura. Elementos para a aula de francês. Minerva Coimbra, 2003.

 


 

La situation du français au Portugal

24 % de la population maîtrise le français d’après le baromètre Eurostat de la Commission européenne.

Le français n’est pratiquement plus présent en LE1 (Langue étrangère 1), mais il domine fortement la LE2 (Langue Étrangère 2) dans le troisième cycle de l’Ecole de Base, situation unique en Europe : 80 % des élèves le choisissent, loin devant l’espagnol qui augmente et l’allemand qui diminue.

Le français est continué par 15% des élèves de l’Ecole Secondaire en LE1 (certains changent de langue) ou en LE2 optionnelle, car la LE2 n’est pas obligatoire. Soit pour le système scolaire : 391 678 élèves en 2005-2006 (dernières statistiques nationales fiables).

5 000 professeurs de français. Les 7 objectifs prioritaires de la coopération linguistique et éducative
Un protocole de coopération éducative franco-portugais plus approfondi et une collaboration renforcée avec autorités éducatives ;
Des professeurs de français plus motivés et formés grâce à des réunions semestrielles, un congrès annuel et des cycles de formation avec l’Association portugaise des professeurs de français (APPF) ;

Des sections européennes de langue française dans de nombreuses Ecoles de Base ou Secondaires, créées et suivies avec les Directions régionales de l’enseignement (DRE) ;

L’apprentissage du français dès l’école primaire dans le cadre des Activités d’Enrichissement curriculaire, en partenariat avec les Mairies ;

Le développement des certifications officielles de français et de formations habilitantes pour examinateurs, avec le réseau des Alliances françaises, notamment le DELF scolaire ;

La promotion du français et du multilinguisme avec concours et bourses en France, en collaboration avec les assistants de français et l’APPF (dépliants argumentaires, affiches, sites Internet…), la Fête de la Francophonie à l’Institut franco-portugais et autres lieux ;

Des projets développés avec les départements de français et centres de langues universitaires avec bourses pour étudiants et Journées « langues et entreprises » en collaboration avec l’association portugaise d’études françaises ( APEF).

Le Protocole bilatéral de coopération éducative
Accord franco-portugais signé à Paris le 10 avril 2006:

Intention de rendre la deuxième langue obligatoire dans l’Ecole Secondaire au Portugal…
Promotion de l’enseignement précoce du français au Portugal et du portugais en France…
Développement des sections européennes en France et au Portugal…
Appui de l’Ambassade de France à la formation des enseignants dans chaque région…
La formation et la motivation des enseignants
Réunions semestrielles dans chaque DRE + Madère : 600 délégués des Ecoles de Base et Secondaires contactés : formation thématique, information sur les projets bilatéraux ou européens + documentation (le cinéma français, la chanson francophone, l’évaluation, la BD, le tourisme, etc.)

Formations organisées avec les associations ou le ministère :
APPF : congrès annuel des professeurs de français en novembre, cycles de 25 heures de formation crédités par le ministère portugais de l’Education, information régulière par lettre de diffusion ;
APEF : formations spécifiques (enseignement précoce, enseignement sur objectifs spécifiques).

La création de sections européennes : 2006
7 Ecoles de Base ou Secondaires ouvrent des sections européennes de langue française à la rentrée 2006.
7 nouvelles Ecoles de Base ou Secondaires ouvrent des sections européennes de langue française à la rentrée 2007.

RESULTAT : 14 Ecoles, 25 Sections, 460 élèves (cf. article publié dans la revue « français dans le monde » en mars 2008).

Modèle expérimenté puis validé par le ministère portugais de l’Education : apprentissage du français renforcé et apprentissage du français intégré dans une matière (maths, histoire, géographie, philosophie, physique-chimie, éducation visuelle…).

Appui à la grande Fête des Sections européennes organisée à l’ES/3 de Tocha le 9 mai 2008.Les certifications officielles de français, instruments de motivation.

Le Diplôme d’Etudes de Langue Française, DELF A1, A2, B1 et B2, et le Diplôme Approfondi de Langue Française, DALF C1 et C2, sont les diplômes officiels délivrés par le ministère français de l’Education nationale pour certifier les compétences en français des candidats étrangers, basés sur les niveaux du Cadre européen commun de référence. Environ 2000 diplômes attribués en 2008 : nette progression par rapport à 2007.Éléments aimablement fournis par le Service culturel de l’Ambassade de France à Lisbonne.

 


 

Enseignement du français à l’université de Coimbra

Inauguré en 1926 par le Prof. Eugène de Castro (qui s’honorait d’avoir, dans sa jeunesse symboliste, été l’hôte de Mallarmé, rue de Rome), l’Institut des Etudes Françaises, aujourd’hui intégré au Département d’Etudes Romanes de la Faculté des Lettres, a produit des générations de professeurs de français et, plus généralement, de “passeurs” de la culture française au Portugal.

Successivement dirigé par de fortes personnalités de “romanistes” (Costa Pimpão, Paiva Boléo), l’Institut a pu très tôt compter avec le soutien de l’Ambassade de France au Portugal. De brillants conseillers culturels, comme Pierre Hourcade entre autres, ont su en favoriser le rayonnement et l’expansion par divers moyens, tels que l’accroissement régulier de sa bibliothèque, l’envoi de conférenciers prestigieux (de Marcel Bataillon à André Siegfried) et la nomination de lecteurs de grande qualité. Durant près d’un demi-siècle (de 1926 à 1974), il y eut là un foyer d’amitié franco-portugaise où se rencontrait toute une élite universitaire.

Jusqu’à 1974, l’enseignement de langue, culture et littérature françaises s’inscrivait dans le cadre de la licence dite de Philologie Romane. L’accent y était mis sur l’étude de l’histoire de la langue, l’ancien français étant enseigné par d’excellents spécialistes. Sur le plan de la méthodologie littéraire, le lansonisme conserva tout son crédit jusqu’à la Révolution des Œillets.

Le renversement du régime salazariste coïncida, curieusement ou non, avec l’irruption du Structuralisme, avidement assimilé par les étudiants qui, las d’un enseignement dogmatique et érudit, y voyaient un instrument d’émancipation intellectuelle. Il faut observer que la langue française (encore apprise alors dès le début du lycée au titre de première langue vivante obligatoire) était pour la très grande majorité un élément presque naturel. L’influence de la culture française avait atteint, à la veille de la Révolution, une sorte d’apogée: les chansonniers, les cinéastes de la Nouvelle Vague et les écrivains du Nouveau Roman, tout ce qui venait de France apportait un souffle précurseur de liberté.

Les vingt années, environ, qui suivirent représentèrent une époque très faste pour l’enseignement, au moins sous l’aspect quantitatif : multiplication des Universités publiques et privées, démocratisation – et massification – de l’Enseignement Supérieur. Essor sans précédent dont bénéficia le français à Coimbra; de très nombreux étudiants (250 en moyenne à chaque rentrée), candidats à l’enseignement secondaire, se présentaient à chaque rentrée à l’Institut d’Etudes Françaises qui devint un important centre de formation de professeurs.

Malheureusement la langue française avait, entre-temps, cessé d’être obligatoire dans le secondaire. Un reflux se fit sentir à la fin des années 90, marquées par la diminution accéléré des effectifs. Le Ministère portugais de l’Éducation ayant fait (trop) large provision de professeurs, l’enseignement ne proposait plus de débouchés faciles à des jeunes que, par ailleurs, décourageait la dégradation de l’image du français, devenu pour beaucoup de Portugais moins la langue de l’évasion que celle de l’émigration.
Dans le même temps, le Ministère français des Affaires Etrangères, procédant à des “redéploiements stratégiques”, supprimait les deux postes de lecteurs (VSNA et détaché budgétaire), puis celui de l’attaché linguistique, dont la collaboration avait été précieuse durant les années “postrévolutionnaires”, de même qu’il avait, auparavant, retiré ses lecteurs de la Faculté des Sciences et cessé d’approvisionner notre bibliothèque.

Il est vrai que l’émergence de la “francophonie” nous invitait à regarder autrement notre rapport au français. Placée en 1991 à la tête de l’Institut des Etudes Françaises, je m’empressais de répondre aux sollicitations du Commissaire au Livre du Ministère de la Culture de la Communauté Française de Belgique, M. Quaghebeur, en instituant, avec lui, le Centre d’Etudes de la Littérature Belge, animé successivement par trois lecteurs sélectionnés et rémunérés par le C.G.R.I. Je recrutais, parallèlement, une universitaire québécoise pour assurer l’enseignement de la littérature et civilisation canadiennes.

La rapide internationalisation de l’enseignement supérieur (avec ses divers “programmes”, Socratès, Erasmus…), allait modifier une nouvelle fois la donne en ouvrant des perspectives encourageantes. Après les “années sombres” du début du siècle, il semble en effet que nous assistions depuis peu à l’apparition d’une nouvelle espèce d’étudiants, attirés vers le français moins par la perspective d’une carrière pédagogique que par les atouts procurés par la maîtrise d’une autre grande langue européenne. L’assouplissement des structures universitaire permettant une plus libre circulation entre facultés, nos cours sont maintenant fréquentés par des élèves de droit, voire de médecine. Il faut ajouter qu’en vertu d’une Convention signée avec la Faculté d’Economie, l’Alliance Française de Coimbra dispense des cours de français de spécialité dans cette dynamique institution.

Les plus récents cursus de la Faculté des lettres (Journalisme, Etudes Européennes, Études Artistiques, Tourisme) nous fournissent un public maintenant stable, orienté vers d’autres intérêts que la littérature mais, généralement, très motivé. Des cours d’initiation, de français juridique, de français de la vie quotidienne, etc,, accueillent ces sympathiques amateurs, auxquels se joint un contingent d’étudiants Erasmus de toutes nationalités et souvent de très bon niveau.

L’enseignement du français à Coimbra (et au Portugal), comme s’il avait bu l’eau du Léthée, ayant oublié ses grandeurs et ses malheurs de naguère, semble enfin prêt à saluer le Siècle nouveau.

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