Mme Laurette GLASGOW / La réalité linguistique au Canada

Madame Laurette GLASGOW, ministre plénipotentiaire.

Mesdames et Messieurs,

Dans quelques semaines, toute la Francophonie célébrera le 100e anniversaire de la naissance de Léopold Sedar Senghor, cet illustre magicien de la langue française que vous avez honoré en rattachant son nom à votre cercle. Nous lui devons en grande partie ce regroupement original d’Etats et de Gouvernements auquel le Canada et deux de ses provinces participent. A l’aube de ce formidable événement, je souhaite vous remercier de m’avoir invitée à partager avec vous ce soir quelques vues sur la réalité linguistique de mon pays, le Canada.
Nos démographes, sociologues et linguistes sont nos meilleurs experts de ce sujet. Et je ne pourrai nullement me substituer à eux. Je souhaite vous proposer, en revanche, sur cette question, le regard d’une francophone canadienne qui, après avoir vécu sa langue et sa culture en situation de minorité, dans le Manitoba de l’après-guerre, a assisté à l’incroyable révolution qu’a connue l’identité canadienne au cours des 30 dernières années.

Propos introductif : Regard d’une Francophonie Minoritaire

« Peuple qui a choisi de lutter et de souffrir, parce qu’il ne veut pas mourir »

Non, ce n’est pas une citation de René Lévesque. C’est le vers d’un poème appris à l’école et qui me revient parfois à l’esprit. C’est un de mes souvenirs d’enfance, dans ce Manitoba des années 1950 et 1960, où je n’avais pas, en tant que francophone minoritaire dans un milieu anglophone, le droit d’être scolarisée dans ma langue maternelle.

Ces poèmes nationalistes, tout comme la littérature française, l’histoire du Canada – version française bien entendu, les airs et les paroles de La Bonne Chanson, la fierté de notre culture et de notre patrimoine, nous ont été appris et transmis grâce à la ténacité, à l’engagement, de la communauté francophone du Manitoba. Une communauté dévouée à la survie de la langue et de la culture françaises, dans un coin du pays pourtant bien loin de Montréal ou de Québec, et isolé des terres de nos ancêtres où on ignorait même notre existence.

Source et impulsion de l’immigration française vers l’ouest du Canada au 19e siècle, la religion était, lorsque j’étais enfant, le principal vecteur de la langue et de la culture françaises… « Qui perd sa langue, perd sa foi » – nous répétaient inlassablement nos institutrices religieuses dans les écoles paroissiales francophones que subventionnaient nos parents. Mais, les ecclésiastiques n’étaient pas les seuls. Ma petite ville de Saint-Vital, Saint-Boniface et les villages francophones de notre campagne comptaient aussi tous ceux qui luttaient pour le rétablissement dans les écoles publiques de l’enseignement en français. Ceux qui fondèrent l’Association d’éducation des Canadiens français du Manitoba, dont ma tante, Yolande Gendron, a été le secrétaire exécutif. Ceux qui créèrent les institutions culturelles de langue française : CKSB-Radio Saint-Boniface, le quotidien La Liberté et Le Patriote, le Cercle Molière ou encore la télévision française.

Tout francophone canadien qui a grandi hors du Québec pourrait raconter d’innombrables histoires similaires. Mais ces histoires, ces premières actions de « résistance », ont été des prémices essentielles. Elles ont permis à ces francophones du Canada de ne pas disparaître. La suite fut complexe : dévouées et engagées, ces communautés ont connu des divisions aiguës, surtout lors de la progression de la laïcité.
Car, tout le pays traversait simultanément une période de profondes transformations.

Nous connaissons tous, bien sûr, la « révolution tranquille » qui a marqué le Québec. Ce qui est moins connu, en revanche, c’est l’autre révolution qu’a traversée sereinement le reste du Canada. Une révolution qui a permis de garantir la protection des droits des minorités. Une révolution qui a créé les droits, les moyens et les capacités nécessaires pour permettre au citoyen canadien de s’exprimer dans sa langue, de vivre et de faire vivre sa culture. Les années 1960 furent le début d’une révolution dans l’évolution de l’identité canadienne, nourrie de la pensée de Pierre-Elliott Trudeau. Ce fut le début de la “société juste” défendue par son gouvernement, enrichie, au fil des années, de progrès importants qui conduisirent à l’adoption de la fameuse Charte des Droits et Libertés de 1982.

Mon pays d’aujourd’hui est bien différent du Manitoba de mon enfance. Depuis, le Canada a choisi de devenir officiellement bilingue et multiculturel, pleinement conscient et se réjouissant de l’infinie richesse de ses cultures et de ses langues. Propre à notre histoire, cette évolution a profondément ancré les valeurs de la civilisation canadienne contemporaine.

Le paysage ethnolinguistique du pays a lui aussi changé. Le visage du Canada a mûri. Et, d’ailleurs, il poursuit encore aujourd’hui sa “maturation”, car nous, Canadiens, redéfinissons sans cesse notre identité. “La qualité première de l’État canadien est sa complexité” affirme l’un de nos philosophes – d’ailleurs très connu en France, John Ralston Saul. D’abord fondée sur une triple culture, autochtone (nos Amérindiens et Inuits), francophone et anglophone, cette complexité s’enrichit aujourd’hui, en effet, de l’apport des nouveaux Canadiens venus d’Asie, du Moyen-Orient, des Caraïbes, de l’Amérique du Sud ou de l’Afrique. Or, nous pensons que cette complexité, que nous nommons “diversité”, est notre force. Car, dans ce Canada multiculturel et bilingue, nous préparons notre avenir en valorisant notre unité dans notre diversité pour relever les nouveaux défis du 21e siècle.

 

I. La dualité linguistique : un défi permanent pour le Canada

1.1. Fondements historiques du bilinguisme canadien

Toutefois, il nous faut reconnaître qu’à l’instar de notre réalité multiculturelle, notre dualité linguistique constitue depuis toujours un défi pour le Canada. Car l’unité dans la diversité est aussi source de tensions. Or, c’est précisément dans la définition des équilibres qu’ils trouvent, que les Canadiens définissent leur identité singulière.

La diversité est depuis toujours une caractéristique fondamentale du Canada, même si elle n’était pas perçue comme telle à l’époque. Au début des échanges avec les premiers Européens, on dénombrait quelque 56 nations autochtones parlant plus de 30 langues. Or, ces nations furent d’emblée reconnues dans les traités que signèrent avec elles les premiers colons européens, français puis anglais. Si, sur cet aspect, nous avons, par la suite, écrit plusieurs pages tourmentées de notre histoire, ces traités furent, en quelque sorte, les premiers fondements du respect mutuel qui caractérise notre pays.

Dès ses premières heures, le Canada a, en effet, choisi la voie du compromis, animé par la volonté de protéger convenablement ses minorités. C’est dans cet esprit que la Loi Constitutionnelle de 1867, qui a fondé la Confédération Canadienne, a intégré des garanties linguistiques et religieuses afin de protéger les minorités – qu’elles fussent ci ou là françaises, anglaises, catholiques ou protestantes. Dans la province du Québec où ils composaient une très grande majorité, les Canadiennes et les Canadiens francophones ont pu s’appuyer sur ces pouvoirs pour protéger leur langue et leur culture. Jusqu’en 1945, toutefois, l’évolution linguistique est demeurée étroitement liée au peuplement du pays : hors du Québec, la langue française est restée fragile, compte tenu de l’arrivée d’immigrants anglophones ou allophones (ceux qui sont ni de culture francophone ni de culture anglophone) encouragés à parler l’anglais. J’ai bien connu cette situation dans le Manitoba de mon enfance où, comme ce fut le cas pendant plusieurs décennies, l’enseignement dispensé dans les écoles publiques ne pouvait se faire qu’en anglais.

Dans le paysage linguistique de l’après-guerre, l’anglais et le français étaient, dans les faits, “asymétriques”, c’est-à-dire qu’ils n’étaient pas parlés par un nombre égal de locuteurs, et n’exerçaient pas, de surcroît, la même force d’attraction. Il s’est donc avéré nécessaire de développer des dispositions juridiques pour garantir l’égalité de leur statut respectif.

1.2. Un cadre pour le bilinguisme canadien de l’après-guerre

Dans cette perspective, la Loi sur les Langues Officielles de 1969 a été un premier acquis important. Cette loi oblige le gouvernement du Canada à accorder un statut, des droits et des privilèges égaux aux deux langues dans toutes nos institutions fédérales, et ce d’un bout à l’autre de notre pays. Elle exige aussi de ces institutions qu’elles servent les Canadiennes et les Canadiens dans la langue officielle de leur choix.

Quelques années plus tard, en 1982, l’adoption par le Canada de la Charte des Droits et Libertés, qui concrétisait la “société juste” rêvée par Trudeau, a eu des conséquences remarquables pour la protection des langues officielles canadiennes. S’ajoutant à la Constitution canadienne rapatriée, cette Charte protège les droits individuels en s’opposant à l’adoption de lois discriminatoires ou altérant les droits fondamentaux.

Au plan linguistique, la Charte a confirmé le français et l’anglais comme langues officielles du Canada. Mais, l’aspect le plus remarquable de ce texte est qu’il a introduit au Canada le droit à l’instruction dans la langue officielle de la minorité, sous réserve, bien entendu, d’un nombre suffisant d’enfants. C’est le fameux article 23.

Le bilinguisme canadien bénéficie donc depuis le début des années 1980 d’un cadre juridique moderne. Les dispositions que je viens de mentionner vous paraîtront vraisemblablement abstraites. Pourtant, cet encadrement a eu des répercussions immédiates et concrètes, au plan du bilinguisme notamment.

Ne l’oublions pas, selon la province ou le territoire concerné, le français, comme l’anglais, se trouve alternativement en situation minoritaire ou majoritaire. Le Canada n’est pas formé d’un Québec francophone et de 9 autres provinces et 3 territoires anglophones. La francophonie canadienne s’étend « a mari usque ad mare » et le Québec compte une population anglophone et allophone importante. Bref, le paysage linguistique canadien est complexe. A l’image de sa diversité.

Au cours de la deuxième moitié du 20e siècle, le Canada est véritablement devenu un pays bilingue avec l’augmentation de la double maîtrise, par les Canadiens, de nos langues officielles. En effet, la jeune génération de Canadiens est vraisemblablement la plus bilingue de notre histoire : en 1981, seulement 8% des jeunes anglophones hors Québec parlaient le français ; or, ils sont aujourd’hui 14%. Citons un autre exemple : au Québec, 80% des jeunes anglophones parlent le français et 53% des francophones parlent l’anglais.
Pour le développement du bilinguisme, l’action des provinces et des territoires a été et demeure essentielle. Mentionnons, pour commencer, le leadership du Nouveau-Brunswick, dont un tiers de la population, d’origine acadienne, est francophone. Doté, lui aussi, notamment, d’une Loi sur les langues officielles, le Nouveau-Brunswick est la seule province officiellement bilingue du Canada. D’autres provinces n’en sont pas moins actives. L’Ontario, le Manitoba ou encore l’Île-du-Prince-Edouard ont mis en œuvre des politiques de pointe. A ce titre, citons le modèle de centre d’appel bilingue créé à Moncton, au Nouveau-Brunswick, qu’ont repris avec succès diverses communautés de l’Ontario et du Manitoba où vivent un nombre important de Canadiens francophones. Quant aux territoires, soulignons le cas du Nunavut qui favorise le trilinguisme en encourageant l’usage de l’anglais et du français aux côtés de l’inuktitut.

Au-delà de ces mesures constitutionnelles et législatives, le gouvernement du Canada encourage l’offre de services dans les deux langues officielles en collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, les organisations non-gouvernementales, les associations professionnelles et les organismes bénévoles. Le Canada soutient ainsi l’enseignement public dans la langue officielle minoritaire et favorise l’apprentissage à l’école de l’autre langue officielle. Grâce à ces programmes, notamment, quelque 5 millions de Canadiennes et de Canadiens maîtrisent aujourd’hui le français et l’anglais. Vous le voyez, ce qui a véritablement changé, depuis mon enfance manitobaine, c’est la perception qu’ont de nombreux anglophones et d’allophones de l’acquisition de la langue française : d’un fardeau, elle est devenue une richesse, un atout.

1.3. Un Canada officiellement bilingue mais encore souvent unilingue dans les faits

Si le Canada a enregistré des progrès indiscutables, il nous faut reconnaître que son niveau effectif de bilinguisme reste très sensiblement inférieur à celui des pays européens. Selon un sondage réalisé lors de notre dernier recensement en 2001, 66% de nos concitoyens étaient unilingues, contre 47% des Européens, 37% de Belges ou 51% de Français. Comme vous le constatez, Mesdames et Messieurs, le bilinguisme est au Canada un objectif en cours de réalisation. Pour nous, Canadiens, il s’agit d’un défi permanent. Et nous ne nous lassons pas de le relever.

 

II. Le Multiculturalisme – Forge l’Identité riche et complexe du Canada d’aujourd’hui

Or, nous le relevons aujourd’hui en nous appuyant sur une dynamique nouvelle qui forge l’identité des Canadiens : le multiculturalisme. D’ailleurs, les deux notions – bilinguisme et multiculturalisme, renvoient à une même réalité: celle de la diversité. Diversité des langues. Diversité des cultures. Ce sont deux concepts interdépendants qui attisent inlassablement la capacité des Canadiens à trouver des compromis productifs.

2.1. Fondements du multiculturalisme canadien

Mais qu’est-ce que le multiculturalisme canadien ? Ce n’est ni le « melting pot » américain, ni une juxtaposition de communautés, ni l’intégration par l’assimilation. Convaincu de l’égalité à la fois de tous ses citoyens et de leurs valeurs, le Canada est devenu en 1971 le premier pays au monde à faire du multiculturalisme sa politique officielle. Il s’est dès lors transformé en une société ouverte à une immigration nouvelle, diversifiée. Incroyablement diversifiée.

Le multiculturalisme canadien, ce n’est pas “donner” un avenir aux immigrants, c’est construire notre avenir avec les immigrants. Les Canadiens veulent s’enrichir de leurs apports. C’est cela, le multiculturalisme : un enrichissement mutuel dans un projet commun.
Dans cette société postnationale, être Canadien, ce n’est donc pas s’assimiler à une culture dominante, c’est adhérer à des valeurs de citoyenneté dont la toute première est le respect de l’autre. Nous favorisons, d’ailleurs, l’adhésion à ces valeurs en soumettant les futurs Canadiens à un test de citoyenneté qui porte, outre l’histoire, la géographie, etc. sur les droits et les responsabilités de nos citoyens. 84% de nos immigrants adoptent la citoyenneté canadienne, contre 40% aux États-unis.

2.2. Le multiculturalisme : un lien entre le Canada et les Canadiens

Le multiculturalisme est, en fait, un lien entre le Canada et les Canadiens. Tous les Canadiens.

Le Canada perçoit sa diversité comme un atout national : les Canadiens qui parlent plusieurs langues comprennent mieux le monde et facilitent la participation de notre pays à l’échelle internationale, qu’il s’agisse de commerce, d’investissement, d’éducation ou de diplomatie.

Concrètement, quel est l’impact de cette politique sur le paysage ethnolinguistique du pays ? En d’autres mots, quel est le visage du Canada d’aujourd’hui ?

Aux populations autochtones qui ont, les premières, occupé le territoire canadien, se sont ajoutés les premiers immigrants : Français, Anglais, Écossais, et Irlandais. Jusqu’au développement de notre politique multiculturelle, 90% de l’ensemble des immigrants provenaient d’Europe. De nos jours, les Européens ne représentent plus que 20% de nos immigrants. Ceux qui construisent notre avenir viennent de pays aussi divers que l’Algérie, l’Éthiopie, Haïti, l’Afghanistan ou le Cameroun. Depuis le début des années 1990, plus de la moitié de nos immigrants sont nés en Asie et au Moyen-Orient.

Pour bâtir son avenir, le Canada s’est fixé pour objectif d’accueillir chaque année un nombre d’immigrants équivalant à 1% de sa population totale, soit environ 310,000 personnes. Cette immigration représente actuellement environ la moitié de la croissance démographique nette du Canada. D’ici 2020, l’ensemble de la croissance démographique nette devrait être attribuable à l’immigration.

2.3. Le Canada, un pays multiculturel et multilingue

nourri par une immigration soutenue
Il en résulte un paysage extraordinaire : 20%, je dis bien 20% d’entre nous, soit 5,5 millions sur 31 millions, sommes nés hors du Canada. Dans certaines villes comme Toronto ou Vancouver, devenues les plus multiculturelles du monde, ces taux atteignent 40%, c’est-à-dire près de la moitié de la population. En comparaison, seulement 8% des Américains sont nés à l’extérieur des États-unis. Vous le voyez, cette mosaïque canadienne est plutôt spectaculaire.

De cette diversification de la population canadienne procède une formidable diversification linguistique. Certes, la quasi-totalité de la population canadienne est en mesure de s’exprimer dans l’une ou l’autre des deux langues officielles : selon notre dernier recensement, 68% des Canadiens parlent l’anglais, 13% le français et 18 % de la population est bilingue. Toutefois, 10% des Canadiens (environ 3 millions de personnes) parlent une autre langue que l’anglais ou le français à la maison.

L’autre langue la plus couramment parlée chez nous est le chinois : nous comptons environ 750,000 locuteurs. Les autres langues parlées par un nombre significatif de personnes sont le panjabi, l’italien, l’espagnol l’arabe, le tagalog, le portugais, le polonais, l’allemand et le vietnamien. L’un des impacts les plus manifestes de notre politique multiculturelle est donc, si vous me permettez ce néologisme, le développement de “l’allophonie”. Elle concerne environ 25% de la population en Ontario et en Colombie-Britannique, 20% au Manitoba, 15% en Alberta et 10% au Québec.

III. La Francophonie dans un Canada Multiculturelle

Dans ce nouvel environnement linguistique, quelle est la place réelle du français au Canada aujourd’hui? Surtout, quelle sera sa place demain?

Au Québec, en Acadie et dans l’ensemble de son territoire, nous promouvons la langue française et les cultures d’expression française. Mais qui parle le français au Canada ? 95% des Québécois, 1/3e des habitants du Nouveau-Brunswick et, en moyenne, environ 5% de nos citoyens dans les autres provinces.

3.1. La francophonie canadienne freinée par une démographie timorée

Face au vieillissement rapide de notre population, phénomène que connaissent d’ailleurs tous les pays industrialisés, nous fondons notre croissance démographique sur l’immigration. Mais, les langues anglaise et française ne profitent pas équitablement de l’arrivée des immigrants au Canada : un anglophone sur cinq est né à l’étranger, contre un francophone sur vingt. En quelque sorte, l’immigration tend à réduire le poids démographique de la population francophone.

Pour pallier ce phénomène, le Canada s’est fixé pour objectif de “ recruter” des candidats francophones à l’immigration. La province du Québec, qui accueille les trois quarts des immigrants francophones au Canada, entreprend un travail très efficace dans ce sens. Dans les autres provinces et dans les territoires, c’est-à-dire là où les francophones sont minoritaires, le gouvernement du Canada, qui souhaite rétablir l’équilibre démographique, a défini son objectif il y a deux ans : accroître le nombre d’immigrants francophones pour que leur proportion soit au moins égale à celles des francophones dans la province ou le territoire concerné. Cet objectif est en passe d’être atteint avec l’appui actif du Nouveau-Brunswick, de l’Ontario, du Manitoba, de l’Alberta, de la Saskatchewan, de la Colombie-Britannique et du Yukon notamment.

Toutefois, cette politique ne saurait suffire. Les foyers d’immigrants francophones ne sont pas intarissables ! Pour faire rayonner encore plus le français au Canada, il est indispensable de nous appuyer sur les deux autres populations : les “ allophones” et les anglophones. En d’autres termes, l’avenir de la francophonie canadienne passe par le développement du bi- voire du multilinguisme !

3.2. Nouvelles perspectives de développement du français au Canada.

Le Canada encourage, en conséquence, l’apprentissage du français auprès des jeunes issus des populations anglophone et allophone dans le cadre, notamment, de son Plan d’action pour les langues officielles. Avec une enveloppe de 137 millions de dollars sur cinq ans, notre objectif est qu’en 2013, 50% des jeunes canadiens de 15 à 19 ans aient une connaissance fonctionnelle de leur seconde langue officielle.

L’un des volets importants de ce plan est de favoriser et d’intensifier les programmes d’immersion scolaires. Porte-étendard de l’apprentissage du français depuis 30 ans, les programmes d’immersion ont permis d’enregistrer des résultats spectaculaires, notamment dans la province du Québec. C’est, en effet, à Montréal que l’on trouve le plus grand nombre de personnes bilingues et multilingues au Canada : la moitié de la population. L’impact de ces programmes sur les populations allophones est encore plus important. Au Québec, près de la moitié des personnes dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais, parlent nos deux langues officielles. Le nombre de personnes trilingues y est neuf fois plus élevé que dans le reste du Canada.

Hors du Québec, les Canadiennes et les Canadiens prennent également conscience des avantages réels du bilinguisme. Il s’agit d’un progrès réel, très prometteur pour l’avenir. Différents sondages réalisés il y a deux ans montraient que près de 70% des jeunes anglophones résidant hors du Québec appuyaient le bilinguisme officiel, contre 27% chez leurs aînés de plus de 60 ans.

Pour la vitalité de la francophonie canadienne, il existe une autre dimension essentielle. Or, celle-ci échappe – et pour cause ! totalement au contrôle de nos gouvernements. Face un auditoire français, je ne doute pas, d’ailleurs, que vous y soyez sensibles, puisqu’il ne s’agit pas moins de l’amour ! Comme aimait à le souligner notre ministre des Affaires intergouvernementales Stéphane Dion, l’amour est bel et bien le troisième pilier du rayonnement de notre francophonie : dans les grandes villes cosmopolites, francophones et anglophones canadiens s’enamourent de plus en plus les uns des autres. Hors du Québec, ce sont, en fait, près des deux tiers des enfants francophones canadiens qui sont issus de famille exogames. Cependant, la transmission de la langue française ne se fait pas toujours au sein de ces familles. Mais, il s’agit incontestablement d’une population “ cible” que le Canada peut et doit encourager.

3.3. Le bilinguisme et la langue française indispensables

au rayonnement du Canada dans un espace mondialisé
Il est dans l’intérêt de nos jeunes anglophones d’apprendre le français : langue d’un quart de leurs compatriotes, langue internationale présente sur les cinq continents, inscrite comme langue officielle dans la constitution de 29 pays, langue officielle du Comité international olympique, des Nations Unies.

Car le français est indispensable au rayonnement du Canada dans un espace mondialisé. Cette langue lui donne en effet accès au réseau de la Francophonie institutionnelle, dans un mécanisme permanent d’échanges et d’entraide, aux côtés de plus de soixante autres pays répartis sur les cinq continents. Il n’est pas étonnant que le gouvernement fédéral du Canada accepte de financer 21% du budget de l’OIF, ce qui en fait le deuxième bailleur de fonds, derrière la France. A eux seuls, nos deux pays contribuent à près des trois-quarts du financement de la Francophonie inter-gouvernementale. Et ces proportions ne tiennent pas compte des contributions additionnelles du Québec et du Nouveau-Brunswick !

Nous l’avons vu, la francophonie du Canada contemporain se compose aussi bien des descendants des premiers colons français que de personnes arrivées beaucoup plus récemment du Maghreb, d’Afrique Noire ou des Caraïbes. Notre francophonie, ce sont nos anglophones et nos immigrants qui utilisent le français dans leur vie professionnelle, dans leur vie privée, avec leur conjoint et leur famille, nos anglophones dont les enfants sont inscrits dans des programmes d’immersion française. C’est aussi nos anglophones qui redécouvrent le français – phénomène propre au Canada que nous appelons “ refrancisation”.

Conclusion

Pour conclure mon propos, je souhaite souligner que, dans le domaine linguistique, la position canadienne est sans doute originale. Nous n’envisageons pas le développement et le rayonnement de notre francophonie en opposition avec l’anglophonie. Bien au contraire ! Nous l’identifions comme un appui, une alliée. Car nos aspirations, nos politiques, se fondent sur nos valeurs, celles que partagent et auxquelles s’identifient Canadiens comme Néo-Canadiens : le respect de l’autre et la tolérance dans une société où chaque langue a toute sa place. J’irais même plus loin. Voilà que le Premier Ministre du Manitoba, M. Doer, un anglophone, reconnaît que grâce à sa minorité francophone, sa province construit aujourd’hui un partenariat fort avec le Bas-Rhin. C’est loin de l’expérience que j’ai vécu à l’époque, mais une raison de plus de rendre hommage à la ténacité de ces militants de la francophonie du 19ème et du 20ème siècle.

L’encouragement de la diversité linguistique canadienne se nourrit d’une dynamique comparable à celle qui a permis de mobiliser autour de la préservation et de la diversité culturelle. Et ce qui est bon à l’échelle du Canada doit aussi l’être à l’échelle de la planète. C’est pourquoi, de concert avec nos provinces, le Canada a mis tant d’enthousiasme à promouvoir l’élaboration d’une Convention sur la protection de la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques, laquelle vient d’être adoptée par la 33e Assemblée générale de l’UNESCO le 20 octobre dernier. Je tiens d’ailleurs à saluer à cet endroit toute la satisfaction que j’éprouve devant la coopération exemplaire de nos gouvernements avec celui de la France dans la réussite de ce projet. En effet, ce combat était et reste important pour mon pays, car dans la promotion de ses langues comme de ses cultures, il s’agit, pour le Canada, de renforcer son unité dans sa diversité et de faire fleurir sa diversité dans son unité.

Je vous remercie.

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