Mme Henriette WALTER / Rencontre entre le français et l’arabe

Madame Henriette WALTER, Professeur émérite de linguistique à l’Université de Haute Bretagne à Rennes, Présidente de la Société Internationale de Linguistique Fonctionnelle.

Rien ne semblait rapprocher ces deux langues : l’une, le français appartient à la famille indo-européenne, l’autre, l’arabe, à la famille sémitique, qui comprend aussi l’hébreu et l’araméen. De plus leur histoire a suivi des chemins très différents : si le français doit son succès à des raisons essentiellement politiques, avec un rayonnement qui ne commence que vers la fin du XIIe siècle, l’arabe prend son essor dès le VIIe siècle, mais pour des raisons religieuses. 1
Par ailleurs, l’arabe occupe le 6ème rang parmi les langues les plus parlées dans le monde alors que le français ne se situe qu’au 10ème rang. 2

En revanche, à l’heure actuelle, le français est langue officielle dans 33 pays et l’arabe dans 21 pays.

Et pourtant, malgré le peu de chances que ces langues avaient de se rencontrer, on trouve depuis le Moyen Âge des traces de l’arabe dans la langue française, et, réciproquement, mais bien plus tard, des emprunts au français dans la langue arabe parlée.
Mais avant de présenter ces échanges linguistiques dans le détail, il convient de rappeler certaines caractéristiques de l’arabe, en relation avec sa longue histoire.

L’arabe, langue de bédouins

L’arabe est une langue aux origines légendaires, que l’on identifie à partir du haut Moyen Âge comme l’idiome de quelques groupes de bédouins parcourant, peut-être depuis des siècles, les mornes étendues désertiques de la péninsule Arabique. Ce qu’il y avait de plus remarquable dans la vie de ces tribus nomades, c’était l’existence de foires périodiques, où, en plus des échanges commerciaux, étaient organisées des joutes oratoires, des concours poétiques, à l’issue desquels le poème gagnant était brodé en lettres d’or sur une étoffe noire suspendue aux murs de la Kaaba, au milieu de la mosquée de La Mecque.

L’arabe, langue de poètes

Ainsi était née la poésie pré-islamique, dans une langue tellement prisée par les Arabes que, pendant des siècles, les grammairiens se rendaient périodiquement dans le désert au milieu des tribus nomades afin d’observer et d’étudier le fonctionnement de l’arabe dans sa pureté première.

Dans les textes parvenus jusqu’à nous, on reconnaît déjà le charme de cette poésie arabe que l’Occident découvrira avec la première traduction en français des Mille et une Nuits, au début du XVIIIe siècle.

Entre-temps, l’arabe avait lui-même connu une aventure digne d’un conte de fées puisqu’en un peu plus de deux siècles – du VIIe au IXe siècle – il s’était largement répandu hors de son Arabie natale, de l’Indus à l’Atlantique,à la suite de l’expansion de l’islam.

L’arabe, langue du Coran

Tout avait commencé en 612, avec la vision de l’archange Gabriel apparaissant à Mahomet et lui transmettant le message du Dieu unique. Ce sont ces révélations qui seront rassemblées sous forme écrite quelques années après la mort du Prophète (632) pour former le texte du Coran. Celui-ci constitue à la fois le premier texte en prose des Arabes et le livre culte qui sera le fondement de la religion musulmane. A partir du milieu du VIIIe siècle sera réalisée une version officielle du Coran destinée à devenir l’unique texte reconnu par tous les adeptes de l’islam.

Ayant adopté l’arabe, tout d’abord comme langue de la prière, puis du discours quotidien, des populations d’origines différentes nouvellement converties contribueront à l’enrichissement de cette langue arabe qui intégrera des formes persanes, syriaques, araméennes ou chaldéennes, mais également grecques et latines.

L’arabe, langue de la science

Riche de ces apports extérieurs, l’arabe est aussi devenu dans les “Maisons de la Sagesse” le véhicule des écrits scientifiques les plus divers : mathématiques, chimie (et alchimie), astronomie (et astrologie), mécanique, médecine, botanique… Et c’est grâce aux multiples traductions qui proliféreront dès le VIIIe siècle que l’Occident prendra connaissance d’un savoir venu de l’Orient.

Un enrichissement réciproque

En même temps, la langue arabe laissera des traces durables dans les langues de l’Europe, en Espagne, en Italie et en France, pour ensuite se répandre plus largement en Occident. De plus, si le français compte plusieurs centaines de mots arabes dans son vocabulaire le plus usuel comme le plus recherché :

chiffre et zéro, azimut et zénith, jupe et matelas, artichaut et safran, sirop et sorbet magasin, puis magazine
jupe, coton et camaïeu, mousson, typhon et sirocco gazelle, gerboise et fennec, l’arabe a aussi largement bénéficié de multiples formes lexicales venues du français, surtout dans les domaines de la voiture, de l’habillement et de la mode.

Ces mots français, acquis oralement, ont pris des formes différentes selon les diverses variétés de l’arabe. Ainsi, amortisseur a pu devenir atamorsor en Syrie, mortissour au Maroc, amortéssér et même parfois atmassor au Liban. Parfois aussi, le sens du mot français s’est élargi ou au contraire spécialisé, comme artiste, par exemple, qui en Egypte désigne seulement la danseuse orientale, ou service qui, au Liban, est un taxi collectif.

Ce bref survol de l’histoire de la langue arabe n’a pas permis d’aborder un autre aspect important de cette langue, où la calligraphie occupe un espace à la fois artistique et spirituel, à l’origine de ces entrelacs élégants, ou arabesques que l’on retrouve chez Leonard de Vinci et chez Dürer.

En conclusion, on peut dire que la langue arabe a été pendant des siècles une passerelle composite entre les cultures de l’Orient et de l’Occident.

NOTES
1. WALTER, Henriette & BARAKÉ, Bassam, Arabesques. L’aventure de la langue arabe en Occident, Paris, Robert Laffont & Éditions du temps, 2006, 318 p.
2. QUID 2005 p. 1076c (estimation pour 1998)
(http://www.silf-la-linguistique.org)

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