M. DOV ZERAH / L’Afrique est l’avenir de l’Europe

Monsieur DOV ZERAH, Conseiller maître à la Cour des Comptes, ancien directeur général de l’Agence Française de Développement.

Dans quel contexte global vivons-nous ?

Depuis trente ans, nous vivons une modification fondamentale du monde.

On a cru que la chute du Mur de Berlin consacrerait la fin de l’histoire et que s’installerait un monde unipolaire où la république impériale américaine allait dominer le monde. Cela a failli être le cas si les Américains n’avaient pas commis deux erreurs fondamentales qu’ont été les guerres en Afghanistan et en Irak.

Les Américains sont en train de payer le prix de ces interventions, comme ils ont payé dans les années soixante-dix les coûts de la lutte contre le communisme et de la guerre au Vietnam. Cela explique la tentation isolationniste.

Mais, le monde n’est pas pour autant devenu multipolaire, car le monde n’est pas organisé. Les pays émergents émergent, et ne veulent pas prendre leur part aux différents débats qui animent la communauté internationale. Ils sont plus dans une démarche individuelle, nationaliste de développement.

Et l’Europe ? Elle est à la recherche d’un second souffle.

L’Europe a-t-elle encore une place économique dans le monde ? Veut-elle à nouveau écrire l’histoire ? Est-il possible de changer cette situation ? Sept éléments factuels permettent d’apporter des éléments de réponse :

La démographie

L’Europe est dans un contexte démographique négatif. La population mondiale va passer de 7 milliards d’individus à 9 à 10 milliards en 2050. Cette augmentation de 2 à 3 milliards provient à 50 % de l’Afrique subsaharienne et aujourd’hui le dynamisme est en Afrique subsaharienne. Certains disent même que le dynamisme de l’Afrique subsaharienne va supplanter celui des pays émergents dans les 30-40 années à venir. C’est possible mais pas certain. Nous y reviendrons dans un instant. L’Europe est un continent de basse pression démographique et, comme toujours en pareil circonstance, devient hôte et reçoit des immigrés avec les difficultés qu’on connaît.

Il est indispensable d’engager un sursaut démographique européen, pour créer un véritable espoir européen.

Les élargissements au détriment de l’approfondissement

Depuis 40 ans, l’Europe n’a cessé de s’élargir, et couvre maintenant la quasi-totalité du continent européen. Mais il n’y a aucune véritable communauté. Les pays membres n’ont pas les mêmes perceptions, ne partagent pas la même vision. C’est une des raisons pour lesquelles le projet de Constitution européenne n’avait pas de véritable sens car il s’agit d’un acte fort puisque c’est un contrat social entre des gens qui ont la même conception du vivre ensemble. Tous ces élargissements ont compliqué les processus décisionnels européens et dilué la capacité d’affirmation de l’Europe.

C’est la victoire posthume de Mac Millan qui souhaitait au début des années soixante un vaste marché intérieur, en opposition avec la vision du Général de Gaulle. Cette divergence avait justifié le refus du Général de laisser l’Angleterre intégrer l’Europe.

Pour renforcer la capacité d’action et d’affirmation de l’Europe, il faut refuser tout élargissement et s’engager résolument dans tout approfondissement, même limité à seulement quelques membres de l’Union.
Chacun des approfondissements était en partie justifié par la disparition des barrières réglementaires ou financières censée créer des sources internes de développement et positionner l’Europe sur un sentier vertueux. Mais cela a-t-il suffi à l’Europe pour préserver son modèle et à maintenir sa place dans le concert des Nations ?

Le décrochage de la zone euro

On nous avait promis que le marché unique, la monnaie unique allaient apporter un ressort à la croissance interne. Or, de 1989 à 2000, après le marché unique, la croissance de la zone euro a été inférieure de 50 % à celle des Etats-Unis et dix fois moindre que la croissance chinoise (+ 2 % de croissance pour l’Europe contre + 48 % pour les Etats-Unis et + 191 % pour la Chine). Au-delà de ces chiffres bruts, les performances américaines sont meilleures en termes d’emploi, de productivité, d’investissement, de recherche. Que s’est-il donc passé depuis la création de la monnaie unique ? De 2001 à 2011, la croissance européenne a été légèrement inférieure à celle des Etats-Unis, mais l’écart se creuse avec la Chine : + 18,3 % pour l’Europe, + 20,6 % pour les Etats-Unis et + 226,8 % pour la Chine ! On a donc une Europe qui depuis vingt ans a décroché économiquement.

Le creusement des déficits publics

Les déficits publics sont importants en Europe, et se sont creusés avec la crise par un double effet : la diminution des recettes fiscales consécutives au recul de l’activité économique, diminution accentuée par le coût des mesures de relance de l’activité adoptées pour stimuler l’activité économique. La crainte d’une crise économique justifie qu’on ne soit pas trop regardant sur la dépense et l’accroissement du déficit. La parabole du pompierexplicitée dans monouvrage « L’exigence d’une gouvernance mondiale », selon laquelle les dégâts occasionnés par l’eau sont aussi importants, voire plus importants que ceux occasionnés par le feu lui-même. Pour éviter la récession, les Gouvernements ont augmenté les déficits et se trouvent aujourd’hui confrontés à la crise des dettes souveraines.
Avec la monnaie commune, le recours à la dévaluation n’est plus possible et la résorption des déficits doit passer par un exceptionnel effort de productivité interne, de compétitivité interne. Pour contourner l’obstacle et éviter des choix difficiles, certains préconisent la sortie de la zone par un pays.
C’est une vraie fausse solution. Ce serait une perspective économique catastrophique.
La sortie d’un Etat de la zone euro entrainerait immédiatement une dévaluation. Une dévaluation améliorerait la compétitivité des entreprises, et, à plus ou moins brève échéance une réduction du déficit commercial, et peut être, au bout du compte, une diminution du chômage…mais avant tous ses éventuels effets différés, une dévaluation se traduit immédiatement et automatiquement par un renchérissement des dettes…Un renchérissement difficilement supportable qui exige la mise en place simultanée d’un drastique plan de réduction du déficit budgétaire.

Refuser de voir la réalité, d’accepter certains principes de base comme « il n’est pas possible, sur longue période, de vivre à crédit » ou « il y a une limite à la pression fiscale » conduirait à prendre le risque d’ouvrir la boite de Pandore, et de se trouver confrontés à des situations encore plus difficiles.
Cela n’écarte pas, ne doit pas écarter le débat du niveau de change de l’euro !
Une politique monétaire sous contrainte
Depuis une vingtaine d’années, l’Europe a eu une politique monétaire sous contrainte jusqu’aux révolutions de Mario DRAGHI, le nouveau Président de la Banque Centrale Européenne (BCE). Le jeudi 4 juillet 2013, Mario DRAGUI a déclaré « Face à une situation de crise exceptionnelle, la BCE a toujours le devoir de faire évoluer sa politique et sa communication…Le conseil des Gouverneurs s’attend à ce que les taux de la BCE restent à leur niveau actuel les plus bas, pendant une période prolongée ». Cette déclaration aconstitué une véritable inflexion pour la BCE. Face à une situation exceptionnelle et sans aucune modification juridique, Mario DRAGHI a donc entrepris une véritable révolution bénéfique pour l’activité économique européenne.

Au-delà de ces considérations, l’Europe doit se préoccuper du taux de change de l’euro. Rien ne justifie un taux de change à 1,35. Même si nous ne sommes plus à 1,60$ pour 1€, le taux de 1,35-1,37$ pour 1€ ne parait pas correspondre à la comparaison des situations macroéconomiques américaine et européenne. Il handicape les entreprises européennes et les contraint à sans cesse faire baisser les coûts salariaux.
Une telle situation favorise des pays, comme la Chine, dont le taux de change ne correspond pas à leurs impressionnants excédents commerciaux. L’Europe accepte un yuan sous-évalué car sa seule préoccupation est de vendre aux Chinois. L’Europe se retrouve donc dans la situation où elle finance le développement de la Chine et où elle a laissé partir des pans entiers de son industrie. Elle a un modèle économique et financier équivalent à celui d’un rentier !

Un système social progressivement remis en cause

L’Europe a les moyens de surmonter la crise, mais cela dépendra de sa capacité politique à prendre un certain nombre de mesures et cela exigera du temps. La question cardinale est celle de l’acceptabilité sociale des effets des politiques de redressement budgétaire.
Le système social européen a réussi à perdurer malgré les difficultés consécutives aux deux chocs pétroliers, mais il est de plus en plus contesté avec la mondialisation et la confrontation des nouveaux pays émergents ou des pays à fort potentiel de main d’œuvre bon marché.
Alors que nous avons un modèle social commun, voisin, pourquoi n’y a-t-il donc pas de position européenne commune ou des réglementations identiques sur tous ces sujets de la durée du travail, de l’âge de la retraite, etc. ? De la même façon, qu’on n’a aucune politique commune de l’énergie, alors qu’il s’agit d’éléments de développement essentiels. L’Europe est donc confrontée à un problème stratégique vital. Les Européens ne peuvent pas accepter une remise en cause de leur système social, quelle que soit la légitimité des pays émergents à vouloir accéder au banquet des nations.

L’Europe de la connaissance

La science, la recherche et l’innovation sont des éléments indissociables d’une politique de croissance, voire d’une politique de puissance. Le Conseil européen, réuni à Lisbonne en mars 2000, a pris la résolution de tout mettre en œuvre pour faire du vieux continent d’ici 2010 « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale, dans le respect de l’environnement ». Qu’en est-il aujourd’hui ?
Malgré la stratégie de Lisbonne, toutes les statistiques sur le nombre de chercheurs, d’ingénieurs, de brevets et sur le classement des universités, l’Europe est totalement marginalisée et en dehors des grands centres.

Dans ces conditions, quelle stratégie pour l’Europe ?

Les Européens ne semblent plus vouloir écrire l’histoire, ne paraissent plus être les maîtres de leur destin…Il est grand temps que s’exprime un volontarisme politique européen ! Celui-ci passe par un approfondissement européen entre les pays qui le souhaitent.

Au-delà de l’exigence d’un nouvel approfondissement, l’Europe doit rechercher de nouveaux partenariats stratégiques
Dans un monde globalisé, seules les stratégies de coopération et de partenariat permettent de surmonter les défis auxquels l’humanité est confrontée ! L’Europe doit s’y inscrire sans aucune frilosité !
L’Europe doit s’inscrire dans un partenariat fort avec les Américains. L’Europe et les Etats-Unis sont confrontés aux pays émergents qui, pour asseoir et conforter leur croissance, n’ont pas les mêmes exigences sociales et environnementales. Quelles que soient les différences entre le modèle social européen et l’american way of life, ceux-ci ont plus de similitudes qu’avec les modèles asiatique ou latino-américain. Nous sommes sur des communautés de valeurs, des communautés d’intérêts et nous avons tout intérêt à défendre ce que nous avons en commun. Ce serait une bonne façon de combattre le moins disant social, ou environnemental.

Il en est de même pour l’Afrique.

L’Europe ne peut se désintéresser de l’Afrique ! Pour au moins trois raisons :
La situation de la bande sahélo-soudanaise, de la Mauritanie à la Somalie
La France ne souhaite plus être le gendarme de l’Afrique. Mais les circonstances l’ont conduite à intervenir au Mali, et en Centrafrique. Personne ne peut se désintéresser de cette bande sahélo-soudanaise, terreau de tous les trafics, de tous les terrorismes ou banditismes. Personne et encore moins la France et l’Europe, ne peut s’en désintéresser, car la géographie et l’histoire en font nos voisins…nos voisins de palier !

Le moment est arrivé de poser les bases d’une nouvelle approche africaine. Cela passe par la mise en place d’un système de sécurité collective pour l’ensemble de l’Afrique.
La France, l’Europe, en partenariat avec l’OUA, l’ONU, et les grands Etats africains doivent mettre en place un système de sécurité collective, une OTAN africaine. Cela est indispensable pour éviter que certains soubresauts ne remettent en cause la croissance économique et n’accentuent les phénomènes migratoires.
La pression migratoire
Dans sa frilosité et son repli sur soi, l’Europe essaie de se protéger face aux immigrés. L’Europe ne peut ériger longtemps des frontières lorsqu’on voit les risques que prennent les Africains pour venir sur notre continent. Les pays du Sud sont, à première vue les premiers concernés, et les pays du Nord croient être à l’abri du mouvement…à tort, car c’est un problème européen. Les Africains arrivent à Lampedusa ou en Espagne, mais font très vite la cartographie du taux chômage en Europe et finissent par se rendre vers les pays qui offrent le plus de possibilités d’emploi.
D’aucuns pensent qu’avec la croissance économique que connait l’Afrique, le problème disparaîtra. C’est possible, mais l’Afrique parait aujourd’hui être à la croisée des chemins. Depuis quelques années, la marginalisation semble écartée notamment avec une forte croissance et le regain d’appétit de la part des pays émergents. La pleine intégration du sous-continent est indispensable pour relever les immenses défis auquel il doit faire face.
L’Afrique, entre décollage et marginalisation
L’Afrique a les niveaux de PIB les plus bas de la planète, son poids économique est quasiment inexistant par rapport aux autres pays. L’Afrique fait figure de poids plume sur la scène économique mondiale. Mais cette situation est en train de bouger, et l’Europe ne peut rester indifférente à ce mouvement. Plus, l’Europe doit l’accompagner !
Une croissance importante … La croissance s’est élevée à 5,7% en moyenne sur la période 2001-2013 contre 2,6% dans les années 80 et 2,3% dans les années 90. Au-delà des effets positifs du renchérissement des prix des matières premières, il est difficile de comprendre les raisons de ce sursaut.
Les « acteurs du bas » ont inventé, innové, crée des activités satisfaisant de nombreux besoins essentiels. » Face à la crise des années quatre-vingt-dix, l’Afrique a fait preuve d’une formidable capacité de résilience grâce à son économie informelle à ses logiques de redistribution et aux nombreux dispositifs d’allégement des dettes.

Le secteur informel est, par définition, difficilement appréhendable. Dans les grandes villes africaines, 75% des actifs seraient employés dans le secteur informel : cela va des cireurs de chaussures, des gardiens de parking à la réparation automobile. Il peut être interprété comme une réaction des sociétés traditionnelles qui n’acceptent qu’une partie de la modernité, de l’économie marchande. C’est une sorte de protection face à l’inéluctabilité du changement, perçu comme une agression venue de l’extérieur. Même si le secteur informel permet à de nombreuses populations de subsister, voire de survivre, il ne peut constituer un mode pérenne de développement, et son extension ne ferait qu’accroître la marginalisation de l’économie africaine dans le concert international.

Les logiques de redistribution. Il existe une exception africaine qui se manifeste par des comportements et des logiques distributives atténuant les clivages sociaux et géographiques. Les riches entretiennent tous les membres de la famille du clan, les entreprises publiques engagent des villages entiers ce qui provoque la privatisation de la sphère étatique et l’appropriation des biens publics par les individus. Si cela favorise, voire justifie la corruption, cela évite les explosions sociales, et l’on peut parler de l’étonnante vitalité des sociétés africaines.

Mais cette croissance est inégalement répartie… Seuls quelques pays apparaissent aujourd’hui comme des pays pré émergents, au premier rang desquels l’Afrique du sud, le Nigéria, le Ghana ou le Kenya. …principalement basée sur la vente brute de matières premières… L’Afrique continue à faire reposer sa croissance sur une économie essentiellement extravertie, fortement exportatrice et en priorité de matières premières brutes, sans véritable transformation locale. Ses autres sources de revenus sont les transferts des migrants et l’aide internationale. …et un intérêt marqué de nouveaux émergents L’Afrique représente pour les pays industrialisés et notamment pour les émergents une source de matières premières, de nouveaux marchés et de nouvelles opportunités de développement. L’attitude de ces puissances, moins exigeantes en matière de gouvernance, et leurs fortes demandes en matières premières ne sont pas sans risques, car ils ont tendance à renforcer le caractère déjà très extraverti des économies africaines. Inégalement répartie, la ressource fossile est exportée et cette manne pétrolière ou gazière ne s’est guère traduite par d’importantes retombées pour les populations des pays bénéficiaires. Le regain d’intérêt pour l’Afrique ne doit pas se limiter à la seule exploitation de ses ressources naturelles. Il est indispensable d’accompagner un développement effectif et durable.

Alors qu’au début des années soixante, on disait « L’Afrique est bien partie…le développement de l’Asie sera très difficile… » C’est exactement l’inverse qui s’est produit. Au cours des trente dernières années, la situation africaine n’a cessé de se détériorer par rapport à l’Asie ou l’Amérique latine. Alors que l’Afrique semblait quelque peu intégrée dans le commerce mondial dans les années 6o, c’est à présent l’Asie qui participe plus aux échanges mondiaux ; c’est aujourd’hui l’Afrique qui se trouve à la périphérie du commerce mondial.

Il convient de s’interroger sur les raisons d’une telle évolution, sur les causes du mal-développement africain. La faillite économique se transforme en faillite humaine et l’on voit régulièrement poindre le risque malthusien.

Dans ces conditions, L’Europe doit accompagner l’Afrique a faire face a ses défis, autant par interet que par generosite

D’ici à 2050, l’Afrique va être confrontée à une croissance démographique sans précédent, une urbanisation très rapide, à des effets collatéraux du changement climatique. Ces défis mettent les systèmes économiques et politiques africains sous pression, et font peser sur eux des contraintes qui sont autant de menaces pour le maintien d’un développement pérenne de l’Afrique, qui risque de devenir une zone de très fortes instabilités. Ces défis Les pays doivent se préparer, sur une très courte échelle de temps, à la fois à nourrir leurs populations, les accueillir au sein d’importants ensembles urbains, donner à leurs jeunesses l’éducation et les qualifications pour assurer leur employabilité, créer des emplois en nombre suffisant, et renforcer et développer les infrastructures.

Le choc démographique

Cette croissance démographique est unique dans l’histoire. Peuplée d’un peu plus de 227 millions d’habitants en 1950, soit environ 10% de l’humanité, l’Afrique a franchi en 2010 le seuil du milliard d’habitants, soit 15% de l’humanité, et devrait doubler sa population en 40 ans pour atteindre les deux milliards en 2050, soit plus de 20% de la population mondiale. Cette population sera une population de jeunes. L’impérieuse nécessité de pouvoir nourrir cette population devrait s’accompagner de fortes tensions sur la ressource et faire de la question agricole et foncière, plus encore que par le passé, un sujet capital.

Une urbanisation sans précédent

La population urbaine de l’Afrique passera ainsi de 414 millions en 2011 à plus d’1,2 milliards en 2050, faisant évoluer le taux d’urbanisation de 40 à 60%, soit une augmentation de 50% en moins de 40 ans. En 2025, Lagos ou Kinshasa pourraient devancer en taille les villes de Pékin, Rio ou encore Los Angeles. L’accueil de cette population bientôt à majorité urbaine suppose également un effort continu dans le domaine des infrastructures nécessaires pour approvisionner, loger, éclairer, transporter, soigner, les futurs africains, ce qui suppose des investissements considérables. Ce défi est d’autant plus important qu’aujourd’hui déjà, le manque d’infrastructures reste criant, amputant, selon des estimations, la croissance en Afrique sub-saharienne de 2% par an en moyenne.

L’urbanisation d’une population jeune délaissée

La plupart des sociologues s’accordent pour souligner l’incroyable potentiel de violence que constitue pour l’Afrique le double phénomène de l’urbanisation et d’une jeunesse majoritaire délaissée. La pression urbaine, le chômage et des services publics déficients favorisent la violence dans les centres villes et produisent de gigantesques bidonvilles qui constituent des zones de non droit et de déstabilisation.
Le défi de l’emploi demeure un des sujets les plus complexes car il est lui-même à la croisée de plusieurs éléments : la demande mondiale, la capacité à développer une production répondant à une demande intérieure nationale mais aussi régionale forte susceptible de prendre le relai d’une croissance jusqu’ici largement demeurée exogène et donc vulnérable aux chocs extérieurs, la stabilité des pays africains, leur capacité à redistribuer la richesse et à retenir leurs « cerveaux », enfin la possibilité de mobiliser les investissements, que ce soit en matière d’infrastructures ou de formation : est patente la difficulté à produire des objets manufacturés en Afrique qui manque d’ingénieurs et de travailleurs qualifiés. Les exemples du Burkina Faso, du Mali ou du Sénégal qui, malgré d’importants cheptels de bovins continuent d’importer de la poudre de lait illustre ce problème de l’emploi à dimensions multiples qui implique à la fois un changement de paradigme face à des cadres nationaux trop étroits, un important besoin de formation, une mobilisation du capital et l’exigence d’infrastructures énergétiques et de transports suffisants. Le risque d’un chômage de masse pour les centaines de millions de jeunes africains attendus d’ici 2050 constitue une menace pour la stabilité d’une Afrique devenue plus urbaine et soumise aux pressions de migrations renforcées par la pression démographique. Ce changement d’échelle accentuera également le phénomène déjà très important des mobilités de population.

L’Europe doit aider l’Afrique à faire face au changement climatique

L’Afrique devrait être plus touchée que d’autres régions par le changement climatique, car les équilibres environnementaux restent instables :
– les sols, souvent pauvres, sont d’une qualité très inégale, souvent surexploités, peu stimulés par l’utilisation de l’irrigation ou de l’engrais – seuls 3,5% des terres arables sont irriguées ;
– le taux de déforestation reste en Afrique deux fois supérieur à celui du reste du Monde ;
– la désertification menace une grande partie du continent, notamment dans sa partie sahélienne ; l’Afrique est au deux tiers désertique ou aride ; la croissance démographique et le réchauffement climatique viendront renforcer cette fragilité ;
– les ressources en eau, pourtant abondantes, restent inégalement réparties sur le territoire : malgré la présence de 17 grands fleuves et d’une centaine de grands lacs sur le continent, l’Afrique sub-saharienne se classe parmi les régions du monde les plus désavantagées, avec plus de 300 millions de personnes n’ayant pas accès à l’eau potable au sud du Sahara.

L’Europe doit accompagner l’Afrique dans son immense effort d’investissement

Trois priorités émergent :
– Les transports : routes et voies ferrées sont indispensables pour créer de l’activité, désenclaver les zones de production agricole (acheminer aide alimentaire, engrais, semences et machines, et faire sortir les productions), desservir les futurs ensembles urbains, et surtout accélérer la croissance, notamment en reliant les zones de production aux lieux d’échanges, de consommation et d’exportation.
– L’énergie : l’Afrique consomme environ 3% de l’énergie commercialisée mondiale contribuant de ce fait à moins de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Près de 500 millions de personnes vivent sans électricité, alors que l’Afrique dispose d’un très important potentiel énergétique largement sous exploité en matière d’énergie solaire, d’hydroélectricité, de géothermie ou encore d’utilisation de la biomasse – des agro-industries comme le sucre ou le bois pourraient fournir entre 10 et 15% de la demande d’électricité en Afrique sub-saharienne. Le développement de ces énergies renouvelables est d’autant plus indispensable que le sous-continent aura à affronter l’autre défi de la transition énergétique.
– l’éducation et la santé sont essentiels pour assurer une employabilité aux jeunes, combattre les épidémies, voire les pandémies, mais surtout contrôler les naissances et ralentir la croissance démographique. Les démographes ont démontré que l’éducation, et surtout l’éducation des femmes est primordiale pour pallier l’absence de recours à des méthodes contraceptives. Or, les travailleurs qualifiés ne représentent que 4 % de la population active, mais constituent 40% des migrants.

L’Europe ne peut être absente de ces défis, autant par générosité que par intérêt bien compris.

Si les Européens veulent encore écrire l’histoire et être maîtres de leur destin, ils doivent donc s’inscrire dans une alliance stratégique avec les Etats-Unis pour éviter que le centre du monde ne se déplace irrémédiablement vers l’Océan pacifique et n’accentue la marginalisation de l’Europe ! Avec le même souci, l’Europe doit s’inscrire aussi dans un partenariat Nord-Sud avec les pays africains, car l’Afrique est l’avenir de l’Europe.

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